Argumentaire sur la question du port du foulard

(Septembre 2012)


Ce texte a Ă©tĂ© Ă©crit en collaboration avec le Collectif Liberta (Liège) sous le titre « Ne nous libĂ©rez pas, on s’en charge Â»

Présentation

 

En Belgique, comme presque partout ailleurs en Europe depuis une dizaine d’annĂ©e, venant de la part d’institutions, d’associations, d’acteurs politiques, d’universitaires et des mĂ©dias, l’offensive contre la minoritĂ© musulmane est devenue de plus en plus soutenue, de plus en plus haineuse, une campagne aux relents racistes. Un peu partout aussi, elle a abouti Ă  une forte stigmatisation et Ă  des formes diverses d’exclusion. Dans ce cadre, les femmes musulmanes sont particulièrement visĂ©es du fait du port d’un « signe convictionnel Â» visible : le voile islamique.

Tant que cette offensive se limitait à des campagnes médiatiques, des conférences orientées, des livres ou des films polémiques, tout pouvait encore aller sans trop de dégâts pour les femmes musulmanes portant le voile. C’est de moins en moins le cas depuis que l’Etat, par l’intermédiaire de ses institutions (communes, parlements régionaux, communautés) ou de ses acteurs (élus, directeurs d’école), a commencé à intervenir directement par des mesures ou des règlements visant à promouvoir et à imposer l’interdiction du foulard.

Les consĂ©quences de cette Ă©volution commencent Ă  devenir inquiĂ©tantes. Elles conduisent peu Ă  peu Ă  priver les musulmanes portant le voile d’une partie de leurs droits fondamentaux : le droit Ă  l’instruction, le droit Ă  l’emploi, le droit Ă  la libertĂ© de conscience, le droit Ă  la reprĂ©sentation publique comme mandataires, comme Ă©lues ou comme Ă©lectrices. La rĂ©ponse Ă  cette offensive est nĂ©cessaire et urgente et elle devrait prendre des formes diverses : judiciaire (en allant devant les tribunaux), citoyenne (manifestations, pĂ©titions, interpellations), organisationnelle (collectif et association d’autodĂ©fense), etc…. L’une de ces formes – qui n’est pas dĂ©cisive, mais qui est importante – est celle qui consiste Ă  dĂ©velopper et approfondir les arguments Ă  opposer Ă  cette offensive. Les institutions, les partis, les associations ou les courants de pensĂ©e qui s’opposent au port du voile dans l’espace public avancent en effet un certain nombre d’arguments Ă  l’appui de leur position. Nous en avons fait un premier relevĂ© dans les publications sur le sujet, dans les mĂ©dias et dans les dĂ©clarations et documents des partis ou de leurs associations satellites.

Ces arguments sont assez nombreux et nous n’avons donc pas cherchĂ© Ă  ĂŞtre exhaustifs. Nous n’avons pas non plus cherchĂ© Ă  les hiĂ©rarchiser en fonction de la frĂ©quence avec laquelle ils sont mis Ă  contribution. Au vu de notre but – susciter le dĂ©bat - cela nous a semblĂ© sans grand intĂ©rĂŞt. Enfin, des arguments relevĂ©s, nous n’avons retenu que ceux qui nous ont semblĂ© avoir une certaine cohĂ©rence, ceux dont la discussion pouvait contribuer au dĂ©bat, en Ă©clairer les contours. Nous n’avons donc pas retenu ceux qui se rĂ©futent presque d’eux-mĂŞmes. Par exemple celui qui consiste Ă  dire que les musulmanes portant le voile peuvent occuper des emplois sans trop de problème en Europe, mais que des vendeuses chrĂ©tiennes qui porteraient une croix ne seraient pas tolĂ©rĂ©es dans les pays musulmans. L’argument se rĂ©fute de lui-mĂŞme parce que nous partons du fait que les musulmanes de Belgique ne sont pas des citoyennes d’Arabie saoudite. C’est en tant que citoyennes belges qu’elles dĂ©fendent leur libertĂ© de conscience. Si elles peuvent se sentir interpelĂ©es par l’intolĂ©rance Ă  laquelle fait rĂ©fĂ©rence l’argument, elles n’ont pas, pour cela, Ă  renoncer Ă  leurs droits dans leur propre pays. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un conflit entre musulmans et chrĂ©tiens (entre un « eux Â» et un « nous Â»), mais un conflit entre, d’une part, des citoyennes belges qui veulent l’égalitĂ© et le respect de leurs droits et, d’autre part, des institutions Ă©tatiques belges qui veulent les traiter en citoyennes de deuxième catĂ©gorie du seul fait qu’elles sont musulmanes et qu’elles sont attachĂ©es Ă  leur libertĂ© de conscience. C’est ce dĂ©ni et cette discrimination qu’il s’agit de dĂ©noncer dans le cadre d’un « Etat de Droit Â» censĂ© garantir libertĂ© et Ă©galitĂ© pour toutes et tous.

Quelques prĂ©cisions complĂ©mentaires s’imposent ici. La première concerne ce qu’on entend par « voile islamique Â». Il en existe au moins cinq formes (voir prĂ©cisions Ă  la fin de cette prĂ©sentation). Celle Ă  laquelle se rĂ©fère notre propos est celle du hijab : il cache les cheveux, le cou, les oreilles et parfois la plus grande partie du front. Le hijab est la forme la plus commune en Belgique et nous avons indiffĂ©remment utilisĂ© le mot foulard ou voile pour la dĂ©signer.

Deuxième prĂ©cision : nous ne nous mĂŞlons pas de savoir quelle est la forme la plus proche de l’interprĂ©tation des textes religieux. Notre point de dĂ©part n’est pas la thĂ©ologie mais l’égalitĂ© des « droits et devoirs des citoyens Â» en matière de libertĂ© de pensĂ©e et de conscience. Et il se dĂ©cline dans les questions suivantes : est-ce qu’on a le droit d’avoir une religion ? Est-ce qu’on a le droit de la pratiquer ? Est-ce qu’on a le droit de l’afficher ? Dans quelles conditions et dans quelles limites ?

De façon gĂ©nĂ©rale, nous n’avons pas non plus cherchĂ© Ă  aller au-delĂ  de la discussion des idĂ©es en elles-mĂŞmes (est-ce qu’elles sont justes ou fausses ?). DĂ©terminer le rĂ´le politique de ces idĂ©es dans la sociĂ©tĂ© (Ă  quoi servent-elles et (Ă ) qui servent-elles ?) ou analyser les raisons pour lesquelles, Ă  un moment donnĂ©, elles sont avancĂ©es (pourquoi sont-elles attaquĂ©es ou dĂ©fendues ?) est un tout autre travail.

La mĂ©thode adoptĂ©e est la suivante : après la prĂ©sentation de l’argument anti-voile, vient la rĂ©ponse qui se compose d’une dĂ©finition des termes du dĂ©bat, d’un argument historique (s’il y a lieu), d’un argument thĂ©orique, d’un argument pratique, d’un argument juridique, d’un argument tirĂ© de la comparaison avec les autres cultes et options philosophiques et, enfin, d’une conclusion

Un dernier mot pour que les choses soient claires. Il y a diffĂ©rentes formes de voile ou de foulard (si on prĂ©fère). La première forme est la burqa. C’est un vĂŞtement, souvent bleu, qui cache tout le corps avec une grille au niveau des yeux ; il est d’usage non dans tout l’Afghanistan mais principalement chez les tribus pachtounes dont la majoritĂ© se trouve au Pakistan. Le sitar est un vĂŞtement noir qui cache tout le corps avec, au niveau des yeux, un tissu suffisamment fin et transparent pour voir ; il est d’usage en Arabie saoudite en particulier. Le niqab est un vĂŞtement en deux pièces (longue robe Ă  capuchon et carrĂ© d’étoffe) couvrant tout le corps sauf les yeux ; il est d’usage au Maghreb. Sous une lĂ©gère variante, il est aussi d’usage en Egypte. Le jilbab (ou tchador) est un vĂŞtement en forme de longue robe qui cache tout le corps Ă  l’exception du visage ; il est d’usage (mais pas seul) notamment en Iran. Le hijab cache les cheveux, le cou, les oreilles et parfois une partie du front. Avec des variantes de taille et de couleur, il est la forme la plus rĂ©pandue partout ailleurs et particulièrement en Europe ; c’est ce qu’on appelle communĂ©ment « voile islamique Â».

C’est à cette dernière forme que nous nous référons ici.

Voile et prosélytisme

 

L’argument consiste à dire que le port du voile est une forme de prosélytisme.

(1) Le prosélytisme est le fait pour le partisan d’une idée, d’un comportement, d’une activité d’essayer de gagner d’autres personnes à cette idée, ce comportement ou cette activité.

(2) Historiquement, il y a toujours eu du prosĂ©lytisme. On ne voit pas très bien comment la majoritĂ© des Belges serait devenue chrĂ©tienne s’il n’y avait pas eu de prosĂ©lytisme pour une religion venue du Moyen-Orient, ni comment les Congolais seraient devenus chrĂ©tiens sans le prosĂ©lytisme des missionnaires belges. On ne voit pas bien non plus quelle personne Ă©crirait un essai « polĂ©mique Â» sur le voile si elle ne nourrissait pas l’espoir de gagner des adeptes Ă  la « religion anti-voile Â».

(3) Par extension de la dĂ©finition, tout est prosĂ©lytisme : cela va d’un livre Ă  la publicitĂ©, en passant par les campagnes Ă©lectorales. Aucun dĂ©bat dĂ©mocratique n’est possible sans un minimum de prosĂ©lytisme. On ne peut connaĂ®tre les opinions des autres personnes et Ă©ventuellement en dĂ©battre pour y adhĂ©rer ou les contester que si les personnes en question leur font de la publicitĂ© directe (en les promouvant par toutes sortes de moyens) ou indirecte (en alignant leur comportement et leur apparence sur leur conviction, en prĂŞchant par l’exemple). Il est donc aussi absurde qu’injuste que seul soit visĂ© et stigmatisĂ© le prosĂ©lytisme très indirect des femmes voilĂ©es.

(4) D’un point de vue pratique, on peut très bien faire du prosélytisme sans arborer de signes convictionnels apparents. L’interdiction du voile (pour les élèves ou les professeurs par exemple) ne résout donc en rien le problème, si problème il y a.

(5) Sur le plan juridique, il faut rappeler qu’en matière de convictions religieuses, toute personne a le droit de changer de religion. Or, ce droit ne peut pas ĂŞtre exercĂ© s’il n’y a pas de prosĂ©lytisme direct (oral) ou indirect (sur un support ou en prĂŞchant par l’exemple). Il faut bien que quelqu’un nous fasse connaĂ®tre sa religion si nous voulons en changer. Par ailleurs, il n’existe pas dans le droit belge de dĂ©lit de prosĂ©lytisme et la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des Droits de l’homme ne vise que le « prosĂ©lytisme abusif Â», mĂŞme si elle reste un peu imprĂ©cise sur sa dĂ©finition. Il serait liĂ© au fait de proposer des avantages matĂ©riels et sociaux, de pratiquer des pressions abusives sur des personnes affaiblies, d’utiliser la violence ou le lavage de cerveau. Or rien n’autorise Ă  penser que le simple fait de porter le voile puisse ĂŞtre assimilĂ© Ă  un prosĂ©lytisme de ce genre. Le dĂ©cret d’application sur la neutralitĂ© (dĂ©cembre 2003) ne concerne que l’enseignement officiel et les enseignants. Toute interdiction aux Ă©lèves est illĂ©gale Ă  moins de dĂ©montrer, d’une part, que le simple port du voile (pour se conformer, pour soi, Ă  un prescrit religieux) est assimilable Ă  du « prosĂ©lytisme abusif Â» et, d’autre part, qu’il pose des problèmes de sĂ©curitĂ© (pas seulement au cours de chimie, mais pour tous les cours). Concernant les enseignantes, l’interdiction gĂ©nĂ©rale du foulard rend impossible l’exercice de la libertĂ© de manifester sa religion garantie par la Constitution. L’interdiction est d’autant plus contestable qu’elle limite une libertĂ© fondamentale par des textes (règlements et dĂ©crets) de valeur largement infĂ©rieure Ă  la Constitution et au Droit europĂ©en et international. De surcroĂ®t, l’interdiction est particulièrement dĂ©raisonnable. Comme le montre de façon flagrante le cas du licenciement d’une enseignante de mathĂ©matiques de Charleroi, on voit mal en effet en quoi son foulard empĂŞche ses Ă©lèves de comprendre le thĂ©orème de Pythagore.

(6) Le prosĂ©lytisme dans le rĂ©seau de l’enseignement libre est bien plus flagrant que le port du voile. On peut lire dans la brochure d’une institution de Liège sous le titre « Notre projet pĂ©dagogique Â» que l’école vise Ă  « promouvoir l’Evangile de JĂ©sus-Christ Â» (Ă  quoi il faut ajouter la prĂ©sence des crucifix, des icones, des effigies, etc...). En outre, dans les Ă©coles de ce mĂŞme rĂ©seau, Ă  de très rares exceptions près, seul le cours de religion catholique est dispensĂ©. L’objection selon laquelle il s’agit d’un rĂ©seau privĂ© est sans valeur, car ce rĂ©seau est subventionnĂ© par l’Etat. On peut dire la mĂŞme chose du prosĂ©lytisme pour le libre-examen de l’UniversitĂ© libre de Bruxelles et de l’argent public qu’elle reçoit. Les partisans de la laĂŻcitĂ© (philosophique) pourraient rĂ©torquer qu’ils ne veulent pas de cela non plus. Le problème c’est qu’ils ne le prouvent pas en faisant contre tous les prosĂ©lytismes la mĂŞme agitation acharnĂ©e, systĂ©matique et dĂ©nigrante que celle qu’ils font contre le voile. Ils en font encore moins contre le « prosĂ©lytisme abusif Â» par excellence : la publicitĂ©. Ils sont forts avec les faibles (les minoritĂ©s) et faibles avec les forts (les marchĂ©s). De surcroit, les laĂŻques oublient qu’ils font aussi du prosĂ©lytisme. La laĂŻcitĂ© philosophique, subventionnĂ©e par l’Etat, est ainsi organisĂ©e comme un culte, avec son « Primat Â» (le prĂ©sident du Conseil central laĂŻque) ses « aumĂ´niers Â» (conseillers moraux), ses « Eglises Â» (maisons de la laĂŻcitĂ©), ses cĂ©rĂ©monies funĂ©raires, ses « signes convictionnels Â» (le triangle rouge), ses symboles (la torche), etc… Or, l’Etat belge n’étant pas laĂŻque mais « neutre Â», la laĂŻcitĂ© comme philosophie n’est qu’une option parmi d’autres. Ce que certains laĂŻques veulent donc ce n’est pas combattre le prosĂ©lytisme, mais en avoir le monopole.

(7) Le débat d’idées devrait avoir pour objectif la recherche de la vérité pour unifier les gens autour d’un projet de société commun. En se contentant d’interdire à certains ce qui ne plaît pas à d’autres, on montre que le but véritable est simplement de trouver un bon prétexte à l’exclusion. Il y a lieu bien entendu de lutter contre le prosélytisme abusif. Mais cette lutte doit se faire en ciblant les abus de certains et non en supprimant le droit de toutes et de tous.

Voile et laïcité

 

L’argument consiste à dire que le port du voile est une atteinte à la laïcité.

(1) La laïcité est l’autonomie de l’Etat par rapport aux différentes options religieuses et philosophiques des individus. L’Etat ne s’ingère pas dans ces options ni ne prend position pour l’une d’entre elles et celles-ci ne s’ingèrent pas, comme telles, dans les affaires de l’Etat ni n’essaient d’en devenir l’option officielle.

(2) Historiquement, certains courants philosophiques non religieux (athĂ©isme, agnosticisme, etc…) ont Ă©tĂ© associĂ©s Ă  la laĂŻcitĂ© au sens strict (sĂ©paration de l’Etat et des religions), mais ils n’en sont nullement une composante indispensable pour garantir la libertĂ© de conscience. L’écrasante majoritĂ© des pays europĂ©ens sont en effet des Etats laĂŻques sans philosophie non religieuse. Dans certains autres, il y a mĂŞme une religion d’Etat (Suède, Grèce, Danemark, partiellement le Royaume-Uni…) sans que cela porte prĂ©judice Ă  la libertĂ© de conscience de l’individu. Celle-ci est donc bien le cĹ“ur de la laĂŻcitĂ©, et non l’adhĂ©sion Ă  une philosophie non-religieuse ou anti-religieuse. Dire que le port du foulard porte atteinte Ă  la laĂŻcitĂ© n’est ainsi recevable que du point de vue de la laĂŻcitĂ© philosophique. [Dans la suite de cet argumentaire, nous allons garder ce terme de « laĂŻcitĂ© philosophique Â», ainsi compris]. Pour rappel, en Belgique, celle-ci n’est qu’une option parmi d’autres et c’est d’ailleurs comme telle qu’elle est subventionnĂ©e par l’Etat. On entend souvent certains laĂŻques dire avec dĂ©lectation que la laĂŻcitĂ© a « renvoyĂ© la religion de la sphère publique Ă  la sphère privĂ©e Â». Ils entendent par lĂ  qu’elle est affaire personnelle et doit « rester Ă  la maison Â». C’est tout Ă  fait faux. Il faut entendre par lĂ  qu’elle n’est plus du domaine de l’Etat, mais de la sociĂ©tĂ© civile oĂą elle continue Ă  agir pleinement comme le montre le fait qu’il y a des partis sociaux-chrĂ©tiens ou chrĂ©tiens-dĂ©mocrates, des mutualitĂ©s et des syndicats chrĂ©tiens, des mouvements de « jeunesse Â» ou « ouvrier Â» chrĂ©tiens, etc.

(3) D’un point de vue pratique, s’opposer au port du voile sous prĂ©texte de « laĂŻcitĂ© Â» revient Ă  empĂŞcher une partie des citoyens d’exprimer librement leurs propres convictions. Cette façon de comprendre la laĂŻcitĂ© est donc une nĂ©gation de la laĂŻcitĂ© (l’Etat est neutre et les individus doivent l’être aussi), un dĂ©ni de dĂ©mocratie (seuls les non-religieux ont droit Ă  la parole et Ă  l’espace public) et un non-sens (les religieux ne peuvent pas ĂŞtre laĂŻques). Ce que veulent donc les tenants de la laĂŻcitĂ© philosophique en fait c’est imposer celle-ci comme « religion d’Etat Â».

(4) D’un point de vue juridique, il faut rappeler que l’Etat belge n’est pas un Etat « laĂŻque Â» comme la France, mais un Etat « neutre Â». Le mot laĂŻcitĂ© n’apparaĂ®t nulle part explicitement ni dans la Constitution ni d’ailleurs dans les textes de Droit europĂ©en ou international qui tous se contentent de protĂ©ger les libertĂ©s fondamentales. La « neutralitĂ© Â» de l’Etat belge a en commun avec la laĂŻcitĂ© la sĂ©paration des options philosophiques et de l’Etat, mais elle s’en diffĂ©rencie notamment par le fait que l’Etat belge subventionne indiffĂ©remment toutes les options religieuses et philosophiques reconnues, y compris donc la laĂŻcitĂ© philosophique.

(5) L’Etat belge non seulement n’est pas laĂŻque, mais sa neutralitĂ© elle-mĂŞme est toute relative : le calendrier scolaire et les jours fĂ©riĂ©s (NoĂ«l, Saint sylvestre, Lundi de Pâques, Ascension Lundi de PentecĂ´te, Assomption, Toussaint) sont en grande partie calquĂ©s sur le calendrier chrĂ©tien et, Ă  l’inverse, il n’y a pas de jours fĂ©riĂ©s pour les autres confessions ; seul le dimanche est jour officiel de repos hebdomadaire pour tous ; on cĂ©lèbre un Te Deum pour la fĂŞte nationale ; les Ĺ“uvres d’art d’inspiration chrĂ©tienne trĂ´nent dans les tribunaux et jusqu’il y a peu, il y avait des crucifix dans les salles d’audience ; on trouve encore des croix mĂŞme dans des Ă©coles du rĂ©seau public ; on organise des activitĂ©s scolaires autour de Saint Nicolas, du Père NoĂ«l, de Pâques ; il y a une invocation religieuse implicite dans la formule de la prestation de serment (je jure) ; le Primat de Belgique a une place privilĂ©giĂ©e dans le protocole ; l’espace public est annuellement envahi par les fĂŞtes de NoĂ«l (marchĂ© de noĂ«l, sapins, oriflammes…) ; les mĂ©dias publics sont envahis par des informations en rapport avec les grands moments du calendrier chrĂ©tien ; des noms de saints chrĂ©tiens sont donnĂ©s aux rues, aux places, aux quartiers, aux Ă©tablissements d’enseignements (y compris ceux du rĂ©seau public) ; certaines casernes de pompiers (service public s’il en est) font bĂ©nir les camions Ă  la Saint Christophe ; des Ă©tendards communaux sont hissĂ©s sur les ponts pour annoncer un rassemblement des jeunesses catholiques ; on annonce dans le bulletin mĂ©tĂ©o le nom du Saint Ă  fĂŞter le lendemain ; certaines rues de Liège sont bloquĂ©s pour la procession du 15 aoĂ»t ; les conditions d’établissement des listes des jurĂ©s d’assises et des personnes Ă  en exclure concernent tous les cultes reconnus mais ces conditions sont formulĂ©es en termes exclusivement « chrĂ©tiens Â» : ministres de culte, rites, ordination, ordres majeurs, sous-diacres ; etc. (Circulaire du Ministre de la Justice du 24 dĂ©cembre 2008 dans Le Moniteur Belge, 9 janvier 2009. Ce qui a bien Ă©videmment arrangĂ© les « laĂŻques Â» qui pour l’occasion n’ont pas bougĂ© le petit doigt contre cette « atteinte Ă  la laĂŻcitĂ© Â». La raison en est simple : les conseillers moraux et dĂ©lĂ©guĂ©s laĂŻques n’étaient pas visĂ©s !). La liste n’est pas complète, mais elle est suffisante pour montrer que derrière une apparente neutralitĂ©, il y a une religion qui a une place dominante (le christianisme catholique) et cette religion a d’énormes privilèges. On dira que c’est « normal Â» parce que le christianisme fait partie de l’histoire de la Belgique, que c’est la religion de la majoritĂ©, etc. Il est raisonnable de prendre acte de cette rĂ©alitĂ©, mais il est tout aussi raisonnable d’admettre qu’il est alors pour le moins injuste de rĂ©server l’exigence exorbitante de « neutralitĂ© Â» aux seules musulmanes portant le voile.

(6) Les partisans d’une certaine laĂŻcitĂ© disent qu’ils ne veulent pas non plus de tous ces vestiges du passĂ©. Ils seraient crĂ©dibles s’ils montraient autant d’acharnement contre ces atteintes bien plus flagrantes Ă  la « laĂŻcitĂ© Â». Ils seraient Ă©galement crĂ©dibles s’ils cessaient de jouer sur deux tableaux : mettre en avant la laĂŻcitĂ© comme option philosophique Ă©gale aux cultes reconnus pour bĂ©nĂ©ficier comme eux des subventions publiques, et mettre en avant la laĂŻcitĂ© comme sĂ©paration des religions et de l’Etat pour exiger que la laĂŻcitĂ© philosophique soit la « VĂ©ritĂ© officielle Â» et exclusive de l’Etat et empĂŞcher les autres d’être libres d’avoir leurs propres convictions.

(7) Pour l’essentiel, la laĂŻcitĂ© est un ensemble de mesures et de règles de droit qui permettent Ă  l’individu d’avoir ses propres convictions philosophiques sans ĂŞtre « embĂŞtĂ© Â» par l’Etat. Cet ensemble n’implique donc aucune option politique (l’Etat laĂŻque peut ĂŞtre fasciste, colonial ou dĂ©mocratique). Mais, surtout, il n’implique aucune option philosophique particulière. En mĂ©langeant continuellement la « laĂŻcitĂ© lĂ©gislative Â» et la « laĂŻcitĂ© philosophique Â» (brandissant la première pour faire passer en contrebande la seconde), les tenants de la laĂŻcitĂ© philosophique non seulement font preuve de malhonnĂŞtetĂ© intellectuelle, ils montrent qu’ils ne sont pas… laĂŻques !

Voile et neutralité

 

L’argument consiste à dire que le port du voile est une atteinte à la neutralité.

(1) La neutralité de l’Etat concerne ses institutions (administrations, services, hôpitaux, appareil judiciaire, établissements d’enseignement…) ses agents (fonctionnaires, employés, personnel soignant …), ses bâtiments et ses symboles. Elle ne concerne pas les usagers.

La « neutralitĂ© Â» de l’Etat vis-Ă -vis de toutes les convictions religieuses et philosophiques a pour but de les traiter de façon Ă©gale, et non d’empĂŞcher les individus de pratiquer et de manifester leurs convictions. C’est l’Etat qui est « neutre Â», pas les individus. Et il est « neutre Â» prĂ©cisĂ©ment pour que chaque individu puisse librement ne pas l’être.

(2) Nous avons vu que la neutralitĂ© de l’Etat belge est toute relative en ce sens qu’elle est encore marquĂ©e par l’histoire religieuse de la Belgique. Du point de vue actuel, les lois, les règles et les rĂ©glementations Ă  la base du fonctionnement de l’Etat sont faites par des Ă©lus qui, par dĂ©finition, ne sont pas neutres : ils reprĂ©sentent des intĂ©rĂŞts sociaux, des courants d’idĂ©es ou des partis parfaitement orientĂ©s. Le fait que leurs dĂ©cisions soient formulĂ©es dans le vocabulaire de « l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral Â» et du « bien commun Â» ne change rien Ă  la rĂ©alitĂ© de leur parti-pris.

L’enseignement dans son ensemble n’est pas neutre non plus. Il est organisé pour fournir des agents et des cadres à la société telle qu’elle existe. Un expert comptable, par exemple, tiendra les comptes d’une grande entreprise de distribution, un ingénieur sera technicien d’une multinationale de construction automobile ou d’une fabrique d’armes et un huissier débarquera devant l’usine pour menacer d’astreintes le piquet de grève. En outre, pour certaines matières enseignées, le point de vue partial est presque toujours la règle. Il est évident par exemple que l’occupation nazie de la Belgique n’est pas enseignée en partant du point de vue des nazis et, à l’inverse, la domination coloniale du Congo n’est pas fondamentalement étudiée en partant du point de vue des Congolais.

Dans les services publics, l’idĂ©e selon laquelle l’agent de ces services ne doit pas avoir une apparence telle qu’elle amène l’usager Ă  penser que son dossier pourrait ĂŞtre traitĂ© de manière partiale est aussi aberrante que dangereuse. En effet, si on en suit la logique, il ne faudrait pas interdire aux guichets les seules femmes voilĂ©es, il faudrait aussi y interdire les personnes Ă  la peau noire ou bronzĂ©e ou au faciès asiatique. IdĂ©e aberrante donc, mais aussi dangereuse par son arrière-fond : elle ne prend en compte que la crainte d’impartialitĂ© de l’usager « blanc Â» et donne pour allant de soi que l’agent « blanc Â», lui, ne peut ĂŞtre qu’impartial. Or, des constatations de tous les jours, mĂŞme limitĂ©es, laisseraient penser plutĂ´t le contraire : la probabilitĂ© de partialitĂ© est plus grande du cĂ´tĂ© de l’agent public « blanc Â» face Ă  n’importe quel usager qui n’est pas « belge de souche Â».

Si ceux qui dĂ©fendent la nĂ©cessitĂ© de cette neutralitĂ© Ă©taient vraiment sincères, s’ils voulaient vraiment que les choses aillent au mieux, ils devraient plutĂ´t, au lieu de cĂ©der aux exigences alimentĂ©es par les prĂ©jugĂ©s de certains usagers, leur montrer, prĂ©cisĂ©ment par l’expĂ©rience d’un traitement impartial malgrĂ© le voile ou tout autre signe particulier, que leurs prĂ©jugĂ©s sont infondĂ©s. Ne pas faire cela c’est tout simplement permettre que seuls ceux qui « soignent les apparences Â» ne soient pas inquiĂ©tĂ©s, et c’est surtout oublier la plus Ă©lĂ©mentaire des pĂ©dagogies.

On peut dire en conclusion qu’il n’est pas raisonnable de rĂ©duire la question de la neutralitĂ© aux apparences extĂ©rieures et d’en rĂ©server l’application presque exclusivement aux seules femmes voilĂ©es. On peut très bien avoir l’air tout Ă  fait neutre et ne pas l’être au fond. Les exemples ne manquent pas de militants du Front national ou de personnes qui adhèrent Ă  ses idĂ©es qui travaillent dans les services des Communes. Comme ils ont d’apparence « neutres Â», ils sĂ©vissent en toute impunitĂ©.

(3) D’un point pratique, on voit mal en quoi porter le voile porte préjudice à l’acte médical de l’injection ou des soins d’une blessure, à l’acte administratif de délivrer une attestation de composition de ménage ou de donner des informations sur les primes à la rénovation, à l’acte pédagogique de l’explication d’une équation du second degré ou les règles de l’accord du participe passé. Rien de tout cela n’exige une quelconque apparence de neutralité.

(4) D’un point de vue juridique, l’arrĂŞtĂ© royal du 14 juin 2007 dĂ©taille les Ă©lĂ©ments dans lesquels doit se concrĂ©tiser la neutralitĂ© pour les agents de la fonction publique (parole, attitude, prĂ©sentation). Il ne dit rien sur les signes religieux, Ă  moins de les inclure dans la « prĂ©sentation Â». Il faudrait alors prendre en considĂ©ration tellement de choses que cela peut devenir un engrenage sans fin. En effet, selon l’usager, l’élĂ©ment de la prĂ©sentation « de nature Ă  Ă©branler la confiance Â» n’est pas forcĂ©ment le mĂŞme. Sauf pour les fonctions qui exigent un uniforme (police, pompiers, magistrature…), la focalisation sur le seul voile islamique est donc injuste. Elle est d’autant plus injuste qu’il est Ă©vident par ailleurs que si on ne permet pas Ă  tout un chacun d’afficher ses signes convictionnels (quels qu’ils soient, conformĂ©ment Ă  la Constitution), cela aboutit dans la pratique Ă , d’une part, discriminer ceux dont les signes convictionnels sont visibles et, d’autre part, Ă  imposer illĂ©galement Ă  une partie de la population les normes vestimentaires d’une autre partie.

(5) On se prĂ©occupe beaucoup de faire en sorte qu’une femme battue (forcĂ©ment musulmane ?) ne soit pas accueillie par une assistante sociale voilĂ©e (qui forcĂ©ment ne la soutiendra pas ?). Mais on ne se prĂ©occupe guère de faire en sorte qu’une femme voilĂ©e ne soit pas accueillie par un fanatique du Front National ou un franc-maçon du Mouvement RĂ©formateur.

Autre exemple : Jean-Michel Javaux (bourgmestre Ă©colo d’une petite ville de la province de Liège), a complaisamment Ă©talĂ© ses convictions religieuses dans la presse. Or, en tant que bourgmestre, il est Ă  la fois un Ă©lu, un agent exĂ©cutif de l’Etat et un magistrat. Il est donc pour le moins interpelant que personne, pas mĂŞme les zĂ©lĂ©s partisans de la laĂŻcitĂ© philosophique, n’ait pensĂ© Ă  lui demander de dĂ©missionner. Il a en effet portĂ© atteinte au « principe de neutralitĂ© Â», et bien plus gravement que par la prĂ©sentation extĂ©rieure. Tout le « public Â» dont la confiance est susceptible d’être « Ă©branlĂ©e Â» sait maintenant en effet qu’un agent de l’Etat d’un rang Ă©levĂ©, et magistrat de surcroĂ®t, est catholique. Ceux qui objectent qu’on le jugera sur ses actes mettent en avant un très bon critère, mais ils ne nous expliquent pas pourquoi ce critère n’est pas applicable aux femmes portant le voile.

Autre fait de mĂŞme nature : Danielle Reynders est magistrate Ă  Liège. Lors des Ă©lections rĂ©gionales de 2009, elle a fait campagne sur Facebook pour son frère, alors prĂ©sident du Mouvement RĂ©formateur. Ainsi, elle n’a pas respectĂ© le « devoir de rĂ©serve et de neutralitĂ© Â» que lui impose sa fonction. Le blâme qu’elle a reçu comme sanction disciplinaire a Ă©tĂ© levĂ© en appel par la Cour de cassation. Deux poids deux mesures donc en matière de neutralitĂ©, dans deux cas bien plus graves que le port du foulard par une citoyenne lambda.

(6) Les partisans de la laĂŻcitĂ© veulent imposer celle-ci au niveau de l’Etat parce que sa neutralitĂ© ne les satisfait pas. Mais quand il s’agit des agents de ce mĂŞme Etat, ils se contentent de ladite neutralitĂ©. Elle suffit en effet Ă  faire face Ă  « la cible prioritaire Â» : le foulard islamique. Et cette option est confirmĂ©e par les faits. Un membre du Mouvement RĂ©formateur (Alain Destexhe), connu pour son acharnement laĂŻque quand il s’agit des musulmans, n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  signer le cahier de revendications du lobby catholique Action pour la famille. Autre fait : des membres de ce mĂŞme parti ont participĂ©, fin aoĂ»t 2010, Ă  la rĂ©union de soutien Ă  l’Eglise Ă©branlĂ©e par les affaires de pĂ©dophilie. C’est sous cet angle que la composante raciste des arguments anti-voile apparaĂ®t de la façon la plus Ă©vidente.

(7) Priver les femmes musulmanes d’instruction ailleurs que dans les Ă©coles ghetto, les priver d’emploi ailleurs que dans le nettoyage, les mĂ©tiers pĂ©nibles et les contrats prĂ©caires (pas besoin d’être neutre pour cela, n’est-ce pas ?), voilĂ  Ă  quoi aboutit ce qu’on appelle la « neutralitĂ© Â». Les promoteurs de cette situation, si elle se produisait dans un obscur pays du Sud, au Tibet ou au Soudan, prendrait tout de suite une pose théâtrale et, avec des accents dramatiques, l’appelleraient par son nom : oppression.

Voile et obligation

 

L’argument consiste à dire que le port du voile est porté par obligation, qu’il est imposé par les parents et l’entourage familial en faisant pression sur la fille ou la femme.

(1) On entend ici par obligation l’attitude qui consiste, par divers moyens de contrainte (des plus doux aux plus durs), à faire en sorte qu’un enfant, un adolescent ou un adulte soit amené à dire telle chose, à faire telle autre ou à se comporter de telle ou telle manière, que cela lui plaise ou non.

(2) Rappelons tout d’abord qu’il y a toujours eu des contraintes, des obligations dans tous les domaines de la vie sociale de n’importe quelle sociĂ©tĂ©. Pour nous en tenir au domaine de l’éducation, on peut citer en vrac des situations oĂą l’enfant ou l’adolescent est « obligĂ© Â» de se coucher tĂ´t, faire ses devoirs, se brosser les dents, aller chez le dentiste, manger ses lĂ©gumes, boire son lait, se laver les mains avant le repas, limiter le temps de jeu, limiter le temps devant la tĂ©lĂ©, ranger sa chambre, etc… On a tous un jour ou l’autre vu trĂ©pigner de colère et de frustration ou entendu pleurer bruyamment un enfant dans une grande surface parce qu’il voulait quelque chose que le parent l’a « obligĂ© Â»â€¦ Ă  ne pas vouloir. On peut certes obtenir beaucoup de choses par de l’amour et de la discussion, mais on ne peut pas tout obtenir Ă  tout âge. Ne vilipender la contrainte et l’obligation que quand il s’agit des musulmans est tout simplement malhonnĂŞte. On peut Ă  ce sujet logiquement supposer que ceux qui tempĂŞtent contre « l’obligation Â» sont souvent ceux-lĂ  mĂŞmes qui tempĂŞtent contre les « parents immigrĂ©s dĂ©missionnaires Â».

Chaque parent Ă©duque son enfant en fonction de ce qu’il est, avec pour but de le prĂ©parer Ă  l’autonomie de la vie d’adulte. Outre les tâches liĂ©es aux soins physiques (santĂ©, nourriture…) et Ă  l’instruction, cela comprend la transmission des valeurs morales et les pratiques (rituelles ou pas) liĂ©es Ă  telle ou telle religion ou option philosophique. Et l’enfant n’a pas le choix. Quand il l’aura, l’adolescent puis l’adulte qu’il sera devenu se reconstruira en gardant telle brique et en rejetant telle autre. Mieux : plus l’éducation qu’il a reçue aura Ă©tĂ© systĂ©matique, sans flous et sans incohĂ©rences, plus en sortir ou y rester de façon consciente sera stimulante, Ă©ducative, source de maturitĂ©. Par ailleurs, l’interfĂ©rence d’une tierce partie dans la relation parents-enfants en matière d’éducation religieuse peut avoir des consĂ©quences très nĂ©gatives. Elle risque en effet de saper l’autoritĂ© et la confiance nĂ©cessaires aux acquisitions dans les autres matières. Elle risque aussi de laisser l’enfant et l’adolescent sans protection et sans orientation pendant toute la pĂ©riode durant laquelle ils n’ont pas encore les moyens intellectuels et matĂ©riels de faire des choix mĂ»rs et assumĂ©s.

D’un point de vue pratique, Ă  moins d’envoyer la police « soumettre parents et enfants Ă  un interrogatoire en règle Â», on voit mal comment on peut vĂ©rifier si une fillette ou une adolescente porte le voile par obligation ou volontairement. Mais admettons cette possibilitĂ© : une fois la vĂ©rification faite, la suite Ă  lui donner est pour le moins problĂ©matique. En effet, s’il s’avère que le port du voile est imposĂ©, il faudra envoyer chaque jour un policier pour s’assurer de l’obĂ©issance des parents. Si par contre le port du voile est volontaire, il faudrait alors revoir l’interdiction dans les Ă©coles.

(3) D’un point de vue juridique, le Droit, tant international que local, permet aux parents d’éduquer leurs enfants en fonction de ce qu’ils sont. C’est ainsi que le choix de la religion par les parents est protégé par l’article 18 du Pacte international sur les droits civils et politique (ONU, 1966). Il en est ainsi parce que ce choix fait partie de l’éducation, que l’enfant est encore incapable de choisir par lui-même, étant immature et sans capacité civile. Les seules restrictions aux prérogatives des parents dans ce domaine concernent le fait de ne pas mettre en danger la santé, l’instruction et la moralité de l’enfant – circonstances pour lesquelles il existe déjà un important arsenal juridique (protection de la jeunesse, lutte contre la maltraitance).

(4) L’éducation donnĂ©e par des parents des autres religions ou options philosophiques ne laisse pas non plus de choix aux enfants. Signalons pour les chrĂ©tiens, le baptĂŞme, la première communion ou la messe du dimanche ; pour les juifs, le port de la kippa en certaines circonstances ou la circoncision ; pour certains laĂŻques, l’initiation Ă  une « morale sans dieux Â». Signalons aussi que ce sont les parents qui choisissent (donc qui imposent, qui « obligent Â») l’inscription de leurs enfants aux cours de telle ou telle religion ou au cours de « morale non confessionnelle Â». Signalons enfin que dans les Ă©coles confessionnelles juives, le port de la kippa est « obligatoire Â».

Les partisans d’une certaine laĂŻcitĂ© nous disent qu’ils sont aussi contre ce « deux poids-deux mesures Â». On les croirait volontiers s’ils faisaient la mĂŞme agitation contre les « obligations Â» imposĂ©es aux enfants et adolescents des autres religions et options philosophiques et si, en passant, ils nous expliquaient ce joli paradoxe : ils ne soufflent mot sur « l’obligation Â» de la circoncision, alors mĂŞme que celle-ci porte atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© physique de l’enfant et que ses consĂ©quences sont irrĂ©versibles (atteinte qui devrait ĂŞtre considĂ©rĂ© par les laĂŻques comme plus grave que l’obligation faite Ă  l’enfant de porter le voile).

(5) Avoir la capacitĂ© de faire des choix, d’être libre est aussi un apprentissage, un dur apprentissage parfois. Cette capacitĂ© s’acquiert graduellement ; elle ne s’obtient pas en remplaçant simplement les obligations et les interdictions des parents par celles du directeur d’école, du bourgmestre ou du ministre, ou encore en remplaçant l’obligation du parent « indigène barbare Â» de porter le voile par l’obligation du « colon civilisĂ© Â» de ne pas le porter.

Outre cet aspect colonial, l’argument charrie surtout du sexisme : la femme est supposĂ©e incapable de faire des choix par elle-mĂŞme ; d’oĂą l’on conclue que si elle porte le voile c’est qu’on le lui a imposĂ©. Il pose donc comme prĂ©mices que la femme n’est pas l’égale de l’homme.

Voile et égalité homme-femme

 

L’argument consiste à dire que le voile est le symbole de l’inégalité entre l’homme et la femme.

(1) L’égalité comporte trois aspects différents. Le premier renvoie au fait d’avoir dans le couple les mêmes droits et les mêmes devoirs, les mêmes responsabilités. Le deuxième aspect renvoie à l’accès sans distinction à l’instruction, à l’emploi, au même traitement (en matière de salaire et de promotion), à la sécurité sociale (en matière de pensions et d’allocations diverses), aux droits civils et politiques (patronyme, droit de vote). Le troisième aspect renvoie aux exigences en matière de comportement social (vêtements, attitudes, etc.).

(2) Sur le fond, contrairement Ă  ce qu’on pourrait penser de prime abord, l’argument de l’égalitĂ© homme-femme est un des plus faibles de l’argumentaire anti-voile. Sa première faiblesse vient de ce qu’il oppose, d’une part, la libertĂ© lĂ©gitime de critiquer les religions ou toute autre option philosophique et, d’autre part, la libertĂ© de conscience et de culte. Il va de soi que chacun est libre de critiquer tel ou tel Ă©lĂ©ment de telle ou telle religion, mais il ne s’ensuit nullement que les autres ne sont pas libres de rester attachĂ©s Ă  cet Ă©lĂ©ment. Autrement dit, tout rationaliste ou athĂ©e trouvera toujours quelque chose Ă  critiquer dans n’importe quelle religion ou croyance. Cela peut l’amener – c’est son droit –- Ă  vouloir en faire prendre conscience par un travail de persuasion, d’éducation ou de formation, mais ne l’autorise Ă  rien d’autre. ProcĂ©der autrement c’est vouloir rĂ©gler les dĂ©bats d’idĂ©es Ă  coup d’interdictions, c’est vouloir imposer une seule « conscience Â» Ă  tous et c’est, fatalement, en arriver Ă  persĂ©cuter quiconque n’est pas d’accord avec cette « conscience officielle Â». Dans le cadre ainsi dĂ©fini, l’évocation de l’inĂ©galitĂ© homme-femme est tout simplement hors de propos quand il s’agit de justifier l’interdiction du voile qui en serait le symbole. Elle aboutit en effet Ă  enlever Ă  la libertĂ© de culte tout sens et toute utilitĂ© pratique, puisqu’elle est rĂ©duite Ă  la « libertĂ© Â» d’avoir les idĂ©es qui ont l’accord d’une seule partie.

La deuxième faiblesse de l’argument sur l’égalitĂ© homme-femme est qu’il tourne le dos Ă  la rĂ©alitĂ©. Il part de l’a priori que tout voile Ă©quivaut automatiquement Ă  de l’inĂ©galitĂ© non en Ă©tudiant la rĂ©alitĂ© mais en faisant de l’exĂ©gèse sur des textes religieux. C’est exactement la mĂŞme erreur qu’on ferait, dans la dĂ©marche inverse, si on dĂ©duisait de ce que la Constitution stipule l’égalitĂ© entre les sexes ou les citoyens pour en dĂ©duire que cette Ă©galitĂ© existe dans les faits. Or dans la rĂ©alitĂ©, la situation peut ĂŞtre tout autre. Laissons de cĂ´tĂ© l’égalitĂ© en matière de droits civils, politiques et sociaux : ce sont des domaines dans lesquels les citoyennes belges de confession musulmane partagent le sort – loin d’être reluisant – de toutes les autres citoyennes. Attachons-nous plutĂ´t aux droits et devoirs Ă  l’intĂ©rieur du couple. C’est une banalitĂ© de signaler la grande complexitĂ© des relations Ă  l’intĂ©rieur d’un couple. Celles-ci peuvent ĂŞtre Ă©quilibrĂ©es ou dĂ©sĂ©quilibrĂ©es ; elles peuvent aussi donner l’impression d’être en faveur de l’un des partenaires quand elles le sont en faveur de l’autre ; elles peuvent aussi ĂŞtre en faveur de l’un ou de l’autre Ă  tel moment mais pas Ă  tel autre ou dans tel domaine et pas dans tel autre, et ainsi de suite. Il en rĂ©sulte que, comme dans n’importe quel couple, il peut arriver, il arrive Ă  la femme de porter Ă  la fois le voile et la culotte ou, Ă  l’inverse, de porter une mini-jupe et ĂŞtre dans les fers. Le voile peut donc indiquer la possibilitĂ© d’une inĂ©galitĂ©, non sa rĂ©alitĂ© qui, elle, doit ĂŞtre dĂ©montrĂ©e par l’observation et l’analyse des faits et non par des spĂ©culations. Vue sous cet angle prĂ©cis, l’idĂ©e d’une relation automatique entre voile et inĂ©galitĂ© est un mythe.

La troisième faiblesse de l’argument sur l’égalitĂ© homme-femme est son incohĂ©rence avec certains aspects des autres arguments avancĂ©s. Premier exemple : quand il s’agit du prosĂ©lytisme, la femme est prĂ©sentĂ©e comme portant son voile par conviction, le promouvant de façon active, offensive et se montrant capable de faire pression sur les autres, etc. Mais quand il s’agit de l’égalitĂ© entre les sexes, cette mĂŞme femme est alors prĂ©sentĂ©e comme passive, sur la dĂ©fensive, subissant l’obligation de porter le voile, etc. Selon ce qu’on veut dĂ©montrer, la femme est ainsi tantĂ´t une guerrière, tantĂ´t une victime. Deuxième exemple : quand il s’agit de laĂŻcitĂ©, on fait valoir qu’elle renvoie les convictions personnelles Ă  la sphère privĂ©e pour en interdire l’expression publique. Mais quand il s’agit d’égalitĂ© entre les sexes, on se retrouve Ă  scruter sans mĂ©nagement cette mĂŞme sphère privĂ©e. Le manque de cohĂ©rence est flagrant. (Pour cette intrusion, on peut raisonnablement supposer qu’on va instaurer une sorte de « police philosophique d’Etat Â» dont les agents, frappant au milieu de la nuit aux portes des dissidents et autres contestataires, porteraient bien en vue le badge : « Sections spĂ©ciales de contrĂ´le de l’égalitĂ© Â»).

(3) D’un point de vue pratique, l’incohĂ©rence est tout aussi manifeste. Admettons pour un instant qu’il y ait une relation automatique entre voile et inĂ©galitĂ© homme-femme, on voit mal par quelle vertu magique, le simple fait d’en interdire le port transformerait la grise inĂ©galitĂ© en Ă©galitĂ© rutilante. Dans les faits, c’est bien tout le contraire qui risque d’arriver : l’exclusion qui rĂ©sulterait de la privation d’école et d’emploi ne peut que renforcer l’inĂ©galitĂ© comme on peut le constater pour toutes les femmes, voilĂ©es ou pas.

(4) D’un point de vue juridique, si le Droit local, europĂ©en ou international proclame l’égalitĂ© entre tous les citoyens, il n’entre pas Ă  l’intĂ©rieur des religions ou convictions philosophiques ou des courants d’idĂ©es pour vĂ©rifier si certaines idĂ©es et pratiques ou certains symboles qui les accompagnent sont en conformitĂ© avec cette Ă©galitĂ© proclamĂ©e et encore moins avec les idĂ©es et pratiques de tel courant par rapport Ă  celles de tel autre. Et la raison en est simple. Dans l’état actuel de la lĂ©gislation, il s’agit exclusivement de vĂ©rifier si l’exercice de tel ou tel Ă©lĂ©ment d’une croyance ou d’une option philosophique constitue un danger pour la sĂ©curitĂ© et la santĂ© publiques ou les droits d’autrui. Il en rĂ©sulte que la libertĂ© de critiquer tel ou tel aspect des religions a pour pendant la libertĂ© de les pratiquer dans les conditions prĂ©vues par la loi. Si on supprime le deuxième Ă©lĂ©ment, on vide la libertĂ© de conscience ou de culte (et la libertĂ© tout court) de tout contenu lĂ©gal dans le meilleur des cas. Dans le pire, les prĂ©tendus dĂ©fenseurs de l’égalitĂ©, paradoxalement, instaurent de fait une inĂ©galitĂ© fondamentale des droits qu’on peut reprĂ©senter de la façon suivante :

- La femme voilĂ©e : « je porte le voile parce que je pense que ma religion le prescrit (ma libertĂ© de conscience), et je ne force personne ni Ă  penser ni Ă  faire de mĂŞme (droits d’autrui) Â» ;

- l’opposant au voile : « je suis contre le voile parce que je pense que c’est un symbole d’inĂ©galitĂ© homme-femme (ma libertĂ© de conscience) et je veux forcer celle qui le porte Ă  l’enlever (pas de droits d’autrui) Â».

(5) La comparaison avec le traitement rĂ©servĂ©e aux autres aspects des inĂ©galitĂ©s montre encore plus toute la faiblesse de l’argument de l’inĂ©galitĂ© homme-femme. Toute personne observant sans parti-pris la rĂ©alitĂ© de notre sociĂ©tĂ© ne peut que constater que les inĂ©galitĂ©s y sont lĂ©gion dans tous les domaines. Voici quelques exemples :

- en matière d’inĂ©galitĂ© homme-femme : inĂ©galitĂ© dans le partage des tâches mĂ©nagères et des soins aux enfants, dans les salaires pour un mĂŞme travail ; surreprĂ©sentation de la femme dans les tâches d’exĂ©cution, les contrats prĂ©caires et les temps partiels ; soumission Ă  la prostitution comme l’une des formes les plus extrĂŞmes de l’oppression de la femme (Elle est quasiment « encadrĂ©e et organisĂ©e Â» par les pouvoirs publics avec l’instauration de quartiers rĂ©servĂ©s avec leurs vitrines, leurs Eros-centers ou leurs Espaces P.) ; et bien entendu, pas de femme premier ministre, haut gradĂ© de l’armĂ©e, Bourgmestre de Liège ou… prĂ©sidente du Centre d’Action LaĂŻque ;

- dans l’enseignement : inĂ©galitĂ©s entre l’enfant du directeur de multinationale et l’enfant de l’intĂ©rimaire, entre parents de niveau d’instruction diffĂ©rents, entre filières, entre privĂ© et public, entre Ă©cole d’élite et « Ă©coles poubelles Â», etc.

- en matière de revenus : inĂ©galitĂ©s entre gros actionnaires des sociĂ©tĂ©s cotĂ©es en bourse et la masse des salariĂ©s, entre les salaires mirobolants des dirigeants des grandes entreprises et les quelques mille euros de leurs travailleurs sous-traitants, intĂ©rimaires et contractuels Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e, inĂ©galitĂ© entre la « dame Ă  chapeau Â» Ă©pouse du gros actionnaire d’une banque et l’employĂ©e sous-payĂ©e d’une sociĂ©tĂ© de nettoyage, entre une minoritĂ© de privilĂ©giĂ©s et la masse, de plus en plus importante de ceux qui vivent sous le seuil de pauvretĂ© (Une personne sur 7 vit avec moins de 860 euros par mois en Belgique (et une personne sur six en Wallonie), soit plus d’un million et demi de personnes. Comparez cela avec les 480 000 euros bruts par an du patron de la SNCB. Inutile de comparer avec les fortunes en milliards d’Albert Frère et de ses semblables… ) ;

- En matière de logement, entre les villas quatre façades avec piscine et jardin d’Embourg ou du Sart Tilman, et les taudis de Saint léonard, entre ceux qui ont une seconde résidence sur la côte d’azur et ceux qui ne partent jamais en vacances…

- On peut dire la mĂŞme chose pour toute une sĂ©rie de domaines oĂą les Ă©normes Ă©carts de revenus ont des consĂ©quences sur l’égalitĂ© de fait entre les citoyens. Dans le domaine de la justice, par exemple, quelle Ă©galitĂ© peut-il exister entre quelqu’un qui peut se payer un avocat Ă  500 euros de l’heure et sa victime qui se contente d’un avocat pro-deo ? Quelle Ă©galitĂ© peut-il exister entre le patron d’une grande entreprise qui restructure et l’ouvrier en contrat Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ© qu’il vient de licencier ?

Ces quelques exemples sont suffisants pour montrer que notre sociĂ©tĂ©, qui est basĂ©e sur ce qu’on appelle pudiquement « l’économie de marchĂ© Â», sue les inĂ©galitĂ©s par tous les pores. Et ces inĂ©galitĂ©s ne sont pas un accident de parcours de cette Ă©conomie, elles sont inscrites dans son ADN. Il n’y a pas d’économie de marchĂ© sans inĂ©galitĂ©s criantes, principalement entre ceux qui n’ont que leur travail Ă  vendre et ceux qui ont l’argent pour transformer ce travail en bĂ©nĂ©fices qu’ils accaparent.

On pourrait croire que les partisans d’une certaine laĂŻcitĂ© sont tout aussi farouchement opposĂ©s Ă  ces inĂ©galitĂ©s. Il n’en est rien. Un incident rĂ©vĂ©lateur : en 2004, la commune de VisĂ© (Province de Liège), a refusĂ© de renouveler la carte d’identitĂ© d’une jeune musulmane au motif qu’elle portait le voile sur sa photographie. Ce refus Ă©tant illĂ©gal, c’est donc logiquement que, devant les tribunaux, la commune a perdu en première instance. Cela n’a pas empĂŞchĂ© le bourgmestre, après avoir Ă©galement perdu en appel, de dĂ©clarer : « je ne peux pas supporter que la femme ne soit pas l’égale de l’homme Â». Or il est membre du Mouvement RĂ©formateur, le parti des riches dont le programme est prĂ©cisĂ©ment basĂ© sur le maintien et le renforcement des inĂ©galitĂ©s sociales. Ces inĂ©galitĂ©s-lĂ , bien entendu, le bourgmestre les supporte parfaitement. (A l’époque des faits, la circulaire sur les photographies, qui datait dĂ©jĂ  de 1981, prĂ©cisait qu’« il est souhaitable mais non requis que les cheveux et les oreilles soient Ă©galement dĂ©gagĂ©s Â». C’était un « accommodement raisonnable Â» qu’on aurait immĂ©diatement remarquĂ© et stigmatisĂ© s’il avait trouvĂ© Ă  la demande de la seule communautĂ© musulmane – ce qui n’était pas le cas.)

(5) Cette hypocrisie et ces « indignations sĂ©lectives Â», il n’y a pas moyen de les expliquer complètement sans invoquer le rĂ´le qu’y joue le racisme : le critère de l’égalitĂ© n’est brandi que contre les « inĂ©galitĂ©s allochtones Â», tandis les « inĂ©galitĂ©s de souche Â» sont, elles, aveuglĂ©ment tolĂ©rĂ©es. C’est ainsi que « l’économie de marchĂ© Â» ne gĂ©nère pas seulement des inĂ©galitĂ©s, elle gĂ©nère aussi Ă  la fois les idĂ©es qui permettent de les faire passer pour quelque chose de « normal Â» et les idĂ©es (comme le racisme, le rĂ©gionalisme, etc.) qui permettent de semer la zizanie entre tous ceux qui en sont les victimes.

Annexe :

Eléments du cadre juridique de la liberté de conscience

 

Dans cette annexe, nous avons essayé de rassembler un maximum de textes de droit en rapport avec notre argumentaire : internationaux, européens et belges. Pour rappel, le droit international prime sur le droit européen qui prime sur le droit belge. Même si l’essentiel nous semble y figurer, cette compilation ne prétend pas être complète. Il lui manque notamment tous les arrêts prononcés par les juridictions belges de tous niveaux quand elles ont eu à se prononcer sur des conflits en rapport avec le port du voile. C’est là un autre projet. Tous les textes internationaux ou européens qui sont repris ici ont été soit ratifiés soit signés par la Belgique.

DROIT INTERNATIONAL

 

Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, déc. 1948)

Article 18 : Toute personne a droit Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion : ce droit implique la libertĂ© de changer de religion ou de conviction ainsi que la libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privĂ©, par l’enseignement, les pratiques le culte et l’accomplissement des rites.

Article 29 : 1. L’individu a des devoirs envers la communautĂ© dans laquelle seul le libre et plein dĂ©veloppement de sa personnalitĂ© est possible. 2. Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertĂ©s, chacun n’est soumis qu’aux limitations Ă©tablies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertĂ©s d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-ĂŞtre gĂ©nĂ©ral dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique.

Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU, décembre 1966)

Article 18 : 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion; ce droit implique la libertĂ© d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privĂ©, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement. 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte Ă  sa libertĂ© d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix. 3. La libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prĂ©vues par la loi et qui sont nĂ©cessaires Ă  la protection de la sĂ©curitĂ©, de l'ordre et de la santĂ© publique, ou de la morale ou des libertĂ©s et droits fondamentaux d'autrui. 4. Les Etats parties au prĂ©sent Pacte s'engagent Ă  respecter la libertĂ© des parents et, le cas Ă©chĂ©ant, des tuteurs lĂ©gaux de faire assurer l'Ă©ducation religieuse et morale de leurs enfants conformĂ©ment Ă  leurs propres convictions.

Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion et la conviction (ONU, résolution 36/55, Assemblée générale du 25 Novembre 1981)

Article premier : 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion. Ce droit implique la libertĂ© d’avoir une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privĂ©, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. 2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte Ă  sa libertĂ© d’avoir une religion ou une conviction de son choix. 3. La libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prĂ©vues par la loi et qui sont nĂ©cessaires Ă  la protection de la sĂ©curitĂ© publique, de l’ordre public, de la santĂ© ou de la morale ou des libertĂ©s et droits fondamentaux d’autrui.

Article 2 : 1. Nul ne peut faire l’objet de discrimination de part d’un Etat, d’une institution, d’un groupe ou d’un individu quelconque en raison de sa religion ou de sa conviction. 2. Aux fins de la prĂ©sente DĂ©claration, on entend par les termes « intolĂ©rance et discrimination fondĂ©es sur la religion ou la conviction Â» toute distinction, exclusion, restriction ou prĂ©fĂ©rence fondĂ©es sur la religion ou la conviction et ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de limiter la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales sur une base d’égalitĂ©.

Article 5 : 1. Les parents ou, le cas Ă©chĂ©ant, les tuteurs lĂ©gaux de l’enfant ont le droit d’organiser la vie au sein de la famille conformĂ©ment Ă  leur religion ou leur conviction et en tenant compte de l’éducation morale conformĂ©ment Ă  laquelle ils estiment que l’enfant doit ĂŞtre Ă©levĂ©. 2. Tout enfant jouit du droit d’accĂ©der, en matière de religion ou de conviction, Ă  une Ă©ducation conforme aux vĹ“ux de ses parents ou de ses tuteurs lĂ©gaux, l’intĂ©rĂŞt de l’enfant Ă©tant le principe directeur. 3. L’enfant doit ĂŞtre protĂ©gĂ© contre toute forme de discrimination fondĂ©e sur la religion ou la conviction. Il doit ĂŞtre Ă©levĂ© dans un esprit de comprĂ©hension, de tolĂ©rance, d’amitiĂ© entre les peuples, de paix et de fraternitĂ© universelle, de respect de la libertĂ© de religion ou de conviction d’autrui et dans la pleine conscience que son Ă©nergie et ses talents doivent ĂŞtre consacrĂ©s au service de ses semblables. […] 5. Les pratiques d’une religion ou d’une conviction dans lesquelles un enfant est Ă©levĂ© ne doivent porter prĂ©judice ni Ă  sa santĂ© physique ou mentale ni Ă  son dĂ©veloppement complet, compte tenu du paragraphe 3 de l’article premier de la prĂ©sente DĂ©claration.

Convention internationale sur les droits de l’enfant (ONU, novembre 1989)

Article 2 : 2. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriĂ©es pour que l’enfant soit effectivement protĂ©gĂ© contre toutes les formes de discrimination ou de sanction motivĂ©es par la situation juridique, les activitĂ©s, les opinions dĂ©clarĂ©es ou les convictions de ses parents, de ses reprĂ©sentants lĂ©gaux ou des membres de sa famille.

Article 14 : 1. Les Etats parties respectent le droit de l’enfant Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et religion. 2. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas Ă©chĂ©ant, les reprĂ©sentants lĂ©gaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionnĂ© d’une manière qui corresponde au dĂ©veloppement de ses capacitĂ©s.

Article 18 : 1. […] La responsabilitĂ© d’élever l’enfant et d’assurer son dĂ©veloppement incombe au premier chef aux parents ou, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  ses reprĂ©sentants lĂ©gaux. Ceux-ci doivent ĂŞtre guidĂ©s avant tout par l’intĂ©rĂŞt supĂ©rieur de l’enfant.

Article 19 : 1. Les parties prennent toutes les mesures lĂ©gislatives, administratives, sociales et Ă©ducatives appropriĂ©es pour protĂ©ger l’enfant contre toutes les formes de violence, d’atteinte ou de brutalitĂ©s physiques ou mentales, d’abandon ou de nĂ©gligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses reprĂ©sentants lĂ©gaux ou de toute personne Ă  qui il est confiĂ©.

DROIT EUROPÉEN

 

Convention Européenne des Droits de l’Homme (UE, dernière version, septembre 1970)

Article 9 - LibertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion : 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion ; ce droit implique la libertĂ© de changer de religion ou de conviction, ainsi que la libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privĂ©, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prĂ©vues par la loi, constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© publique, Ă  la protection de l'ordre, de la santĂ© ou de la morale publiques, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui.

Article 10 - LibertĂ© d'expression : 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© d'expression. Ce droit comprend la libertĂ© d'opinion et la libertĂ© de recevoir ou de communiquer des informations ou des idĂ©es sans qu'il puisse y avoir ingĂ©rence d'autoritĂ©s publiques et sans considĂ©ration de frontière. Le prĂ©sent article n'empĂŞche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinĂ©ma ou de tĂ©lĂ©vision Ă  un rĂ©gime d'autorisations. 2. L'exercice de ces libertĂ©s comportant des devoirs et des responsabilitĂ©s peut ĂŞtre soumis Ă  certaines formalitĂ©s, conditions, restrictions ou sanctions prĂ©vues par la loi, qui constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  l'intĂ©gritĂ© territoriale ou Ă  la sĂ»retĂ© publique, Ă  la dĂ©fense de l'ordre et Ă  la prĂ©vention du crime, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, Ă  la protection de la rĂ©putation ou des droits d'autrui, pour empĂŞcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autoritĂ© et l'impartialitĂ© du pouvoir judiciaire.

Article 14 - Interdiction de la discrimination : La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la prĂ©sente Convention doit ĂŞtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Article 17 : Interdiction de l'abus de droit : Aucune des dispositions de la prĂ©sente Convention ne peut ĂŞtre interprĂ©tĂ©e comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer Ă  une activitĂ© ou d'accomplir un acte visant Ă  la destruction des droits ou libertĂ©s reconnus dans la prĂ©sente Convention ou Ă  des limitations plus amples de ces droits et libertĂ©s que celles prĂ©vues Ă  ladite Convention.

Recommandation de politique gĂ©nĂ©rale n° 5 : La lutte contre l'intolĂ©rance et les discriminations envers les musulmans (CRI, Strasbourg, avril 2000)

La Commission europĂ©enne Contre le Racisme et l'IntolĂ©rance [CRI] : […] recommande aux gouvernements des Etats membres, lorsque des communautĂ©s musulmanes sont installĂ©es et vivent en situation minoritaire dans leur pays :

- de s'assurer que les communautés musulmanes ne soient pas discriminées pour ce qui est de la manière dont elles organisent et pratiquent leur religion ; […]

- de prendre les mesures nécessaires pour supprimer toute manifestation de discrimination dans l'accès à l'éducation fondée sur des motifs de croyance religieuse;

- de prendre des mesures, si nécessaire sur le plan législatif, pour lutter contre la discrimination au motif de la religion dans l'accès à l'emploi et dans la vie du travail ; […]

- de porter une attention particulière à la situation des femmes musulmanes étant donné que celles-ci peuvent souffrir à la fois des discriminations envers les femmes en général et des discriminations envers les musulmans.

Directive 2000/43/CE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (Conseil européen, 29 juin 2000)

Article premier : Objet : La prĂ©sente directive a pour objet d’établir un cadre pour lutter contre la discrimination fondĂ©e sur la race ou l’origine ethnique, en vue de mettre en Ĺ“uvre, dans les Etats membres, le principe de l’égalitĂ© de traitement.

Article 2 : Concept de discrimination : 1.Aux fins de la prĂ©sente directive, on entend par « principe de l’égalitĂ© de traitement Â», l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondĂ©e sur la race ou l’origine ethnique. 2. Aux fins du paragraphe 1 : a) une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d’origine ethnique, une personne est traitĂ©e de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a Ă©tĂ© ou ne le serait dans une situation comparable ; b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraĂ®ner un dĂ©savantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine ethnique donnĂ©e par rapport Ă  d’autres personnes, Ă  moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifiĂ© par un objectif lĂ©gitime et que les moyens de rĂ©aliser cet objectif ne soient appropriĂ©s et nĂ©cessaires. […] 4. Tout comportement consistant Ă  enjoindre Ă  quiconque de pratiquer une discrimination Ă  l’encontre de personnes pour des raisons de race ou d’origine ethnique est considĂ©rĂ© comme une discrimination au sens du paragraphe 1.

Article 4 : Exigence professionnelle essentielle t dĂ©terminante : Sans prĂ©judice de l’article 2, paragraphes 1 et 2, les Etats membres peuvent prĂ©voir qu’une diffĂ©rence de traitement fondĂ©e sur une caractĂ©ristique liĂ©e Ă  la race ou Ă  l’origine ethnique ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activitĂ© professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractĂ©ristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et dĂ©terminante, pour autant que l’objectif soit lĂ©gitime et que l’exigence soit proportionnĂ©e.

Directive 2000/78/CE portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (Conseil européen, 27 novembre 2000)

(11) La discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des

personnes.

(12) À cet effet, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions,un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle dans les domaines régis par la présente directive doit être interdite dans la Communauté. Cette interdiction de discrimination doit également s'appliquer aux ressortissants de pays tiers, mais elle ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité et est sans préjudice des dispositions en matière d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers et à leur accès à l'emploi et au travail.

Charte sociale européenne, Adopté en 1961 et révisée en 1996, (Strasbourg, 3.5.1996)

Article E –Non-discrimination : La jouissance des droits reconnus dans la prĂ©sente Charte doit ĂŞtre assurĂ©e sans distinction aucune fondĂ©e notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, la santĂ©, l'appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la naissance ou toute autre situation.

Jurisprudence de la Cour EuropĂ©enne des Droits de l’Homme sur le caractère religieux ou non du voile : Affaire Leyla Sahin contre Turquie (Strasbourg, n° 44774/98, 10 nov. 2005, CEDH 2005-XI)

[A l’égard du voile islamique, la Cour a estimé que] dans la mesure où une femme estime obéir à un précepte religieux et, par ce biais, manifeste sa volonté de se conformer strictement aux obligations de la religion musulmane, l’on peut considérer qu’il s’agit d’un acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction. [Ce raisonnement s’impose même] sans se prononcer sur la question de savoir si cet acte, dans tous les cas, constitue l’accomplissement d’un devoir religieux.

Jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme sur le rĂ´le du dĂ©cideur national : Affaire Leyla Sahin contre Turquie (Strasbourg, 10 novembre 2005)

Lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Tel est notamment le cas lorsqu’il s’agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement, où, en Europe, les approches sur cette question sont diverses. La réglementation en la matière peut par conséquent varier d’un pays à l’autre en fonction des traditions nationales et des exigences imposées par la protection des droits et libertés d’autrui et le maintien de l’ordre public.

Jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’Homme sur coexistence des religions : Affaire Leyla Sahin

contre Turquie (Strasbourg, 10 novembre 2005)

Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts de divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun.

Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le port du foulard par les élèves dans les école (Affaire Kervanci contre France, Strasbourg, n° 31645/04, 4 décembre 2008)

[La cour a] estimé clairs et parfaitement légitimes les principes de laïcité et de neutralité de l’école ainsi que du respect du principe du pluralisme, pour justifier le refus d’accès en cours d’élèves voilées à la suite du refus de ces dernières de ne pas porter le foulard islamique dans l’établissement scolaire, nonobstant la réglementation en la matière.

Jurisprudence de la Cour EuropĂ©enne des Droits de l’Homme sur la neutralitĂ© des agents de l’Etat :

a) Affaire Buscarini et autres contre Saint-Marin, (Strasbourg, 18 fĂ©vrier 1999, § 39) : Il serait contradictoire de soumettre l’exercice d’un mandat qui vise Ă  reprĂ©senter au sein du Parlement diffĂ©rentes visions de la sociĂ©tĂ© Ă  la condition d’adhĂ©rer au prĂ©alable Ă  une vision dĂ©terminĂ©e du monde.

b) Affaire Zdanoka contre Lettonie (Strasbourg, 16 mars 2006, § 117) : Le critère de « neutralitĂ© politique Â» ne saurait s’appliquer Ă  des dĂ©putĂ©s de mĂŞme façon qu’à d’autres agents de l’Etat, les premiers, par dĂ©finition, ne pouvant pas ĂŞtre « politiquement neutres Â»

c) Affaire Dahlab contre Suisse (Strasbourg, 15 fĂ©vrier 2001) sur le port des signes religieux extĂ©rieurs dans l'enseignement laĂŻque : [La Cour consacre l’obligation de la neutralitĂ© notamment s’agissant de jeunes enfants] plus facilement influençable que d’autres Ă©lèves se trouvant dans un âge plus avancĂ©. [La Cour ajoute qu’il lui paraĂ®t] difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolĂ©rance, de respect d’autrui et surtout d’égalitĂ© et de non discrimination que dans une dĂ©mocratie tout enseignant doit transmettre.

DROIT BELGE

 

Constitution belge (version décembre 2002)

Article 11 : La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus aux Belges doit ĂŞtre assurĂ©e sans discrimination. A cette fin, la loi et le dĂ©cret garantissent notamment les droits et libertĂ©s des minoritĂ©s idĂ©ologiques et philosophiques.

Article 19 : La libertĂ© des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la libertĂ© de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la rĂ©pression des dĂ©lits commis Ă  l'occasion de l'usage de ces libertĂ©s.

Article 24 § 1 : L’enseignement est libre; toute mesure prĂ©ventive est interdite; la rĂ©pression des dĂ©lits n'est rĂ©glĂ©e que par la loi ou le dĂ©cret. La communautĂ© assure le libre choix des parents.

La Communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves.

Loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre les discriminations (partiellement annulée par l’arrêt 157/04, 6 octobre 2004, parce qu’elle n’évoque pas le critère linguistique)

Article 2 : 1. Il y a discrimination directe si une diffĂ©rence de traitement qui manque de justification objective et raisonnable est directement fondĂ©e sur le sexe, une prĂ©tendue race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, l’âge, la conviction religieuse ou philosophique, l’état de santĂ© actuel ou futur, un handicap ou une caractĂ©ristique physique. 2. Il y a discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre a en tant que tel un rĂ©sultat dommageable pour les personnes auxquelles s’applique des motifs de discrimination visĂ©s au § 1er, Ă  moins que cette disposition, ce critère ne repose sur une justification objective et raisonnable. […] 7. Tout comportement consistant Ă  enjoindre Ă  quiconque de pratiquer une discrimination Ă  l’encontre d’une personne, d’un groupe, d’une communautĂ© ou de leurs membres pour un des motifs visĂ©s au § 1er est considĂ©rĂ© comme une discrimination au sens de la prĂ©sente loi.

Loi du 10 mai 2007 tendant Ă  lutter contre certaines formes de discrimination

Article 22 : Est puni d'un emprisonnement d'un mois Ă  un an et d'une amende de cinquante euros Ă  mille euros, ou de l'une de ces peines seulement : 1°quiconque, dans l'une des circonstances visĂ©es Ă  l'article 444 du Code pĂ©nal, incite Ă  la discrimination Ă  l'Ă©gard d'une personne, en raison de l'un des critères protĂ©gĂ©s, et ce, mĂŞme en dehors des domaines visĂ©s Ă  l'article 5; […] 3°quiconque, dans l'une des circonstances visĂ©es Ă  l'article 444 du Code pĂ©nal, incite Ă  la discrimination ou Ă  la sĂ©grĂ©gation Ă  l'Ă©gard d'un groupe, d'une communautĂ© ou de leurs membres, en raison de l'un des critères protĂ©gĂ©s, et ce, mĂŞme en dehors des domaines visĂ©s Ă  l'article 5. [Critères protĂ©gĂ©s : l'âge, l'orientation sexuelle, l'Ă©tat civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l'Ă©tat de santĂ© actuel ou futur, un handicap, une caractĂ©ristique physique ou gĂ©nĂ©tique, l'origine sociale].

Décret sur la neutralité dans les établissements d’enseignement organisés par la Communauté française (mars 1994)

Article 3 : […] L’école de la CommunautĂ© garantit Ă  l’élève ou Ă  l’étudiant, eu Ă©gard Ă  son degrĂ© de maturitĂ©, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question d’intĂ©rĂŞt scolaire ou relative aux droits de l’homme. Ce droit comprend la libertĂ© de rechercher, de recevoir et de rĂ©pandre des informations et des idĂ©es par tout moyen du choix de l’élève et de l’étudiant, Ă  la seule condition que soient sauvegardĂ©s les droits de l’homme, la rĂ©putation d’autrui, la sĂ©curitĂ© nationale, l’ordre public, la santĂ© et la moralitĂ© publiques, et que soit respectĂ© le règlement d’ordre intĂ©rieur de l’établissement. La libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions et libertĂ© d’association et de rĂ©union sont soumises aux mĂŞmes conditions.

Décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d’enseignement

Article 4 : L’école officielle subventionnĂ©e garantit Ă  l’élève ou Ă  l’étudiant le droit d’exercer son esprit critique et, eu Ă©gard Ă  son degrĂ© de maturitĂ©, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question d’intĂ©rĂŞt scolaire ou relative aux droits de l’homme. Ce droit comprend la libertĂ© de rechercher, de recevoir et de rĂ©pandre des informations et des idĂ©es par tout moyen du choix de l’élève et de l’étudiant Ă  condition que soient sauvegardĂ©s les droits de l’homme, la rĂ©putation d’autrui, la sĂ©curitĂ© nationale, l’ordre public, la santĂ© et la moralitĂ© publiques. Le règlement d’ordre intĂ©rieur de chaque Ă©tablissement peut prĂ©voir les modalitĂ©s selon lesquelles les droits et libertĂ©s prĂ©citĂ©s sont exercĂ©s. La libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions et d’en dĂ©battre, ainsi que la libertĂ© d’association et de rĂ©union sont soumises aux mĂŞmes conditions. Aucune vĂ©ritĂ© n’est imposĂ©e aux Ă©lèves, ceux-ci Ă©tant encouragĂ©s Ă  rechercher et Ă  construire librement la leur.

Article 5 : Afin notamment e garantir le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle, le personnel de l’enseignement officiel subventionnĂ© 1° adopte une attitude rĂ©servĂ©e, objective et constamment alertĂ©e contre le risque d’induire chez les Ă©lèves ou Ă©tudiants des prĂ©jugĂ©s qui compromettent ce choix; 2° traite les questions qui touchent la vie intĂ©rieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques et les options religieuses de l’homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d’aucun des Ă©lèves; 3° s’abstient, devant les Ă©lèves, de toute attitude et de tout propos partisan dans les problèmes idĂ©ologiques, moraux ou sociaux, qui sont d’actualitĂ© et divisent l’opinion publique. Il amène les Ă©lèves Ă  considĂ©rer les diffĂ©rents points de vue dans le respect des convictions d’autrui. De mĂŞme, il refuse de tĂ©moigner en faveur d’un système philosophique ou politique quel qu’il soit. II veille toutefois Ă  dĂ©noncer les atteintes aux principes dĂ©mocratiques, les atteintes aux droits de l’homme et les actes ou propos racistes, xĂ©nophobes ou rĂ©visionnistes. Il veille, de surcroĂ®t, Ă  ce que, sous son autoritĂ©, ne se dĂ©veloppent ni le prosĂ©lytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisĂ© par ou pour les Ă©lèves.

Décret du 19 mai 2004 relatif à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement

Article 1 : Le prĂ©sent dĂ©cret transpose la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative Ă  la mise en Ĺ“uvre du principe de l'Ă©galitĂ© de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, et la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant crĂ©ation d'un cadre gĂ©nĂ©ral en faveur de l'Ă©galitĂ© de traitement en matière d'emploi et de travail.

Article 2 : § 1er. Pour l'application du prĂ©sent dĂ©cret, il convient d'entendre par : 1° « principe de l'Ă©galitĂ© de traitement Â» : absence de toute discrimination directe ou indirecte fondĂ©e sur des motifs tels que la prĂ©tendue race, l'origine ethnique, la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle; 2° « discrimination directe Â» : discrimination qui se produit lorsqu'une personne est traitĂ©e de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a Ă©tĂ© ou ne le serait dans une situation comparable sur la base de l'un des motifs visĂ©s au 1°; 3° « discrimination indirecte Â» : discrimination qui se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraĂ®ner un dĂ©savantage particulier pour des personnes en raison d'un des motifs de discrimination visĂ©s au 1° par rapport Ă  d'autres personnes, Ă  moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soient objectivement justifiĂ©s par un objectif lĂ©gitime et que les moyens de rĂ©aliser cet objectif ne soient appropriĂ©s et nĂ©cessaires; […] § 2. Tout comportement consistant Ă  enjoindre Ă  quiconque de pratiquer une discrimination Ă  l'encontre de personnes pour l'un des motifs visĂ©s au § 1er, 1°, est considĂ©rĂ© comme une discrimination.

Arrêté royal du 14 juin 2007 relatif au statut des agents de l’Etat

Article 8, § 1 : L’agent de l’Etat traite les usagers de ses services avec bienveillance. Dans la manière dont il rĂ©pond aux demandes des usagers ou dont il traite les dossiers, il respecte strictement les principes de neutralitĂ©, d’égalitĂ© de traitement et de respect des lois, règlements et directives. Lorsqu’il est dans le cadre de ses fonctions, en contact avec le public, l’agent de l’Etat Ă©vite toute parole, toute attitude, toute prĂ©sentation qui pourrait ĂŞtre de nature Ă  Ă©branler la confiance du public en sa totale neutralitĂ©, en sa compĂ©tence ou en sa dignitĂ©.

Instructions générales relatives à la carte d’identité électronique (Ministère de l’Intérieur, novembre 2005)

e) 1. Photographie : QualitĂ© : Les photographies doivent ĂŞtre conformes aux normes de la matrice photo. Elles sont prises de face et sans couvre-chef (sauf port d'un couvre-chef pour raisons religieuses ou mĂ©dicales). Les deux yeux doivent ĂŞtre visibles (pas de lunettes noires sauf pour les handicapĂ©s visuels : production d'un certificat mĂ©dical).

Conventions Collectives de Travail (CCT)

1°) La CCT 38 : Recrutement et sĂ©lection de travailleurs (Conseil National du Travail, dĂ©cembre 1983)

Article 2 bis : L’employeur qui recrute ne peut traiter les candidats de manière discriminatoire. Pendant la procĂ©dure, l’employeur doit traiter tous les candidats de manière Ă©gale. Il ne peut faire de distinction sur la base d’élĂ©ments personnels lorsque ceux-ci ne prĂ©sentent aucun rapport avec la fonction ou la nature de l’entreprise, sauf si les dispositions lĂ©gales l’y autorisent ou l’y contraignent. Ainsi l’employeur ne peut en principe faire de distinction sur la base de l’âge, du sexe, de l’état civil, du passĂ© mĂ©dical, de la race, de la couleur, de l’ascendance ou de l’origine nationale ou ethnique, des convictions politiques ou philosophiques, de l’affiliation Ă  une organisation syndicale ou Ă  une autre organisation, de l’orientation sexuelle, d’un handicap.

2°) La CCT 95 : EgalitĂ© de traitement durant toutes les phases de la relation de travail (Conseil National du Travail, octobre 2008)

Article 2 : Le principe de l’égalitĂ© de traitement en matière d’emploi et de travail [est entendu dans le sens de] l’absence de toute discrimination fondĂ©e sur l’âge, le sexe ou l’orientation sexuelle, l’état civil, le passĂ© mĂ©dical, la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, les convictions politiques ou philosophiques, le handicap, l’affiliation Ă  une organisation syndicale ou Ă  une autre organisation.

Article 3 : Pendant la durĂ©e de la relation de travail, l’employeur ne peut faire de distinction sur la base d’élĂ©ments visĂ©s Ă  l’article 2 lorsque ceux-ci ne prĂ©sentent aucun rapport avec la fonction ou la nature de l’entreprise, sauf si les dispositions lĂ©gales l’y autorisent ou l’y contraignent.

Règlement de police concernant les mascarades et déguisements (Liège, Règlement communal, 28.11.1977).

Art. 1 : Il est dĂ©fendu, en tout temps, de se montrer masquer dans les lieux publics et Ă©tablissements accessibles au public. Toutefois, le Bourgmestre pourra accorder des dĂ©rogations Ă  l’occasion des journĂ©es de carnaval et de la mi-carĂŞme. Art. 2 : Nul ne peut se montrer dĂ©guisĂ© ou travesti dans les lieux publics et Ă©tablissements accessibles au public en dehors des journĂ©es du carnaval et de la mi-carĂŞme, sauf autorisation du Bourgmestre. Art. 3 : Les contrevenants aux dispositions du prĂ©sent règlement seront punis des peines de police Ă  moins que la loi n’ait prĂ©vu d’autres pĂ©nalitĂ©s.

Charte Liège contre le racisme (Liège, 29 mai 1995)

Cette charte a Ă©tĂ© adoptĂ©e par les partis dĂ©mocratiques prĂ©sents au Conseil communal de Liège et stipule que « Le Conseil s’oppose Ă  toute forme de discrimination raciale, ethnique, philosophique ou religieuse et s’engage Ă  garantir un accès Ă©gal pour tous Ă  tous les services de la Ville. Il s’oppose tout particulièrement Ă  toute forme de discrimination raciale observĂ©e, vĂ©cue ou commise par le personnel communal dans l’exercice de ses fonctions. Â»

Bibliographie sommaire

 

Assises de l’interculturalité. Rapport final, Wavre, Editions Mardaga, nov. 2010

BRION Fabienne (ed.), FĂ©minitĂ©, minoritĂ©, islamitĂ©. Questions Ă  propos du hijâb, Louvain-La Neuve, Editions Bruyland-Academia, Coll. « Carrefours Â», 2004.

CECLR, Les signes d’appartenance convictionnelle, Bruxelles, Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme, [Bruxelles], novembre 2009.

DASSETTO Felice, L’iris et le croissant. Bruxelles au défi de la co-inclusion, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011.

GEERTS Nadia, Fichu voile, Bruxelles, Editions Luc Pire, 2010.

GOLDMAN Henri (dossier coord. par), « LaĂŻcitĂ©, neutralitĂ©, islam Â», Politique (Revue de dĂ©bats), Bruxelles, n° 66, septembre-octobre 2010, p. 18-50.

HRWF, Liberté, intolérance et discriminations religieuses dans l’Union européenne. Belgique 2002-2003, Bruxelles, Publications de Human Rights Without Frontiers, juin 2003.

HSAINI Hatem, Le prosĂ©lytisme et la libertĂ© religieuse Ă  travers le droit franco-grec et la CEDH, UniversitĂ© PanthĂ©on Sorbonne (Paris I) – Master de droit public comparĂ©, Paris, [2002 ?]

JACQUEMAIN Marc et ROSA-ROSSO Nadine (dir.), Du bon usage de la laïcité, Bruxelles, Editions Aden, 2008.

SĂ„GESSER Caroline, « Cultes et laĂŻcitĂ© Â», Courrier Hebdomadaire, CRISP (Bruxelles), n° 78, dĂ©cembre 2011.

contact@afdj.info

Copyright © 2021 À Fleur de justice

Webmaster TNC