Femmes musulmanes comme minorité

(Compte-rendus)

REA Andrea et BEN MOHAMED Nadia, Politique multiculturelle et modes de citoyenneté à Bruxelles, Rapport de la recherche commandée par la Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, Publications de L’ULB/GERME, novembre 2000, 128 p.

Bien que vieux de 6 ans, ce rapport reste d’actualité. Il traite de la lutte pour la reconnaissance de l'égalité des droits en faveur des populations issues de l'immigration. Il passe en revue les politiques publiques (accueil, droits socio-économiques, politiques et culturels), l'attitude des syndicats (salaires, sécurité sociale, syndicalisation), la participation aux élections.

Mais on retiendra surtout le chapitre IV qui traite d'un aspect particulier de cette reconnaissance : « les droits polyethniques : l'exemple des femmes musulmanes voilées d'origine maghrébine sur le marché de l'emploi ». Nadia Ben Mohamed y décrit l'évolution sociale et légale de la place des religions dans les sociétés occidentales. Elle passe en revue les différentes significations du hijab (théologique, revendicative) et sa perception par les sociétés d'accueil (frein à l'intégration, symbole de soumission de la femme, intégrisme). Enfin, elle analyse la place du voile dans l’enseignement et sur les lieux de travail. Pour le premier, elle démontre que, sous le couvert du décret sur la neutralité (mars 1994), l'interdiction du foulard par le recours aux règlements d'ordre intérieur, viole tant l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'Homme que l'article 19 de la Constitution belge sur la liberté de manifester son appartenance religieuse.

A l'université, le voile est mieux accepté. Mais le problème se repose sur les lieux de travail. Là, à qualification égale, les femmes sont triplement discriminées : comme femmes, comme femmes d'origine étrangère et comme femmes portant le voile (surtout lors de la sélection d'embauche). La discrimination peut être directe ou indirecte, dans le privé (au nom de la nécessité de ménager les préjugés du client) comme dans le public (au nom de la neutralité), et elle est particulièrement forte dans les services en contact avec la clientèle. Ces faits sont confirmés par une enquête qualitative auprès d'employeurs et auprès d'un échantillon limité de femmes voilées qualifiées.

BRION Fabienne (éd.), Féminité, minorité, islamité. Question à propos du hijâb, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, coll. « Carrefours n°3 », 2004, 173 p.

Cet ouvrage collectif comprend trois parties. La première concerne les significations du foulard et les conséquences de son port sur l'accès à la formation et au travail. La contribution de Fabienne Brion (pp. 19-48) part du témoignage d'une jeune femme voilée née à Bruxelles dans une famille d'origine marocaine et qui a fait des études d'éducatrice et universitaires. Les larges extraits de son récit montrent que son parcours, d'une extraordinaire combativité, part du sentiment « qu'on dénie aux immigrés musulmans et à leurs enfants le droit de manifester leur islamité ». En passant par l'expérience de l'exclusion de l'enseignement et du travail, il aboutit à la nécessité de faire face en tant que femme, en tant que musulmane, en tant que fille d'immigrée et en tant que citoyenne belge. En passant par l'expérience du mariage, le parcours aboutit aussi à la recherche d'un « féminisme intérieur à l'islam ».

La contribution de Nadia Ben Mohammed (pp. 49-61), part d'entretiens réalisés avec des employeurs et des femmes voilées titulaires de diplômes d'études supérieures. Elle montre un lien évident entre le port du voile et le refus d'embauche sous prétexte de « neutralité » (dans le public), de « ne pas faire fuir le client » (dans le privé) ou de respecter les règles d'hygiène (Hôpitaux et Horéca). Ce refus est renforcé par l'ambiance d'islamo-phobie qui touche tous les musulmans et les discriminations qui touchent tous les « non-belges d'origine ». Ces attitudes d'exclusion n'ont aucune base légale, mais elles ont créé, par leur répétition et leur ampleur, une situation où les femmes voilées elles-mêmes les anticipent et abandonnent la partie. Nombre d'entre elles préférant donner la priorité à leurs convictions religieuses, le voile devient alors une question de « fierté », une sorte d'opposition. Alors que les anciens étaient marginalisés au nom de leur statut d'étranger, les jeunes, devenus belges, le sont au nom de leur appartenance religieuse. C'est ce que montre Nouzha Bensalah (pp. 63-82) qui souligne que cela débouche, malgré les divers motifs de porter le voile, sur une revendication commune d'autonomie et de reconnaissance.

La deuxième partie de l'ouvrage concerne les aspects juridiques. Eliane Deproost (pp. 85-98) rappelle que l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme s'oppose à toute interdiction de principe du port du foulard par les élèves. Mais ce n'est pas le cas pour les enseignants et les administrateurs. M. Jacqmain (pp. 99-105) va plus loin. Passant en revue les différents cas de conflits dus au foulard arrivé devant les tribunaux belges, il exprime la crainte que l'interdiction du voile, « justifiée par la neutralité et 'surjustifiée' par la promotion de l'égalité des sexes », n'aboutisse à plus de complications pour les seules filles et femmes et donc à une « aggravation de la discrimination de genre » (= la distribution des rôles sociaux entre hommes et femmes). Il conclut en disant qu'« en sacrifiant le bien (ou mieux) -être concret des intéressées au bénéfice d'un progrès social abstrait, on aboutit à un déséquilibre injustifiable », et demande à ce qu'on « leur foute la paix », simplement. Donné en annexe par l’auteur, l'Avis n° 54 du Conseil de l'égalité des chances entre hommes et femmes du 13 septembre 2002 au sujet du voile islamique va dans le même sens. C'est aussi dans le même sens que va la contribution de Ourdia Derriche (pp. 106-114). Mais elle souligne en outre le caractère idéologique de l'attitude des tenants de l'interdiction. Ceux-ci en effet ont parfaitement supporté le voile chez les mères de l'immigration. Et s'ils ne le supportent pas chez les filles c'est parce qu’ils le ressentent comme un rejet du modèle « occidental » d'émancipation considéré « évidemment » comme supérieur.

La troisième partie de l'ouvrage fait le point sur les différentes positions concernant l'éthique vestimentaire en « islam classique ». A ce propos, il n’est pas inutile de répéter ce qui a déjà souvent été dit : La question n'est pas de savoir si les textes de l'islam obligent ou n'obligent pas à porter le voile, mais de savoir si les Musulmanes, qui interprètent les textes dans le sens de l'obligation, ont la liberté de le porter ou pas. Le juge, au lieu de faire de l’exégèse théologique doit rester dans son rôle : statuer sur les droits liés à la liberté de culte.

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