Les disparitions au Maroc
(2000)
Le régime marocain symbolisé par Hassan II avait trois piliers : le soutien extérieur quasi inconditionnel des impérialismes français et américain, la corruption (de plus en plus généralisée avec le temps) et la répression de toute velléité de lutte.
Répression diversifiée
Cette répression s'exerçait de diverses formes qui ont toutes le même but: dissuader par la terreur (si tu « fais de la politique », il t'arrivera la même chose). La première forme de répression, qui visait tout le monde, est la brutalité meurtrière de l'armée et de la police : quand elle s'exerçait, c'était toujours par centaines que se comptaient les morts et les blessés. La seconde forme, qui visait les militants, est l'arrestation : elle commence par la torture, se poursuit par un simulacre de procès et se clôture par de lourdes peines de prison pour neutraliser le concerné. La troisième forme, la plus terrible, est l'enlèvement, « la disparition forcée » : le disparu est « coupé » de toute réalité, il n'existe plus, pas même pour sa famille qui lui aurait rendu visite si, survivant à la torture, il était détenu dans une prison quelconque.
La pratique de l'enlèvement est ancienne au Maroc. Juste après la colonisation directe (1956), elle fait ses premières victimes dans les rangs des résistants à l'occupation coloniale qui voulaient autre chose qu'une indépendance formelle, qui refusaient la domination néocoloniale. Mais c'est pendant les années 60 et 70 que la pratique de l'enlèvement allait prendre de plus en plus d'ampleur. Quatre figures de disparus sont emblématiques de ces années : Ben Barka, Tati, Rouissi et Manouzi. Fait significatif : l'enlèvement pouvait se faire en plein jour, au vu et au su de tous et les lieux secrets de détention n'étaient secrets que pour l'extérieur : Tazmamart, Kelaat-Mgouna, Agdz ou Dar-el-Mokri étaient largement connus. Les raisons sont simples : l'efficacité « terrorisante » (pour les autres) de l'enlèvement impliquait qu'il ne soit qu'à moitié secret et les exécutants étaient puissants et assurés de l'impunité.
Continuité et résistances
On connaît assez bien maintenant les anciennes victimes de la pratique de l'enlèvement politique. On connaît beaucoup moins les plus récentes, comme les sympathisants du Polisario ou les militants des partis « islamistes ». En fait, contrairement aux apparences, la pratique de l'enlèvement n'a pas disparu et ne disparaîtra pas dans l'état actuel des choses. Deux cas des plus récents : celui de Marzouki (ancien disparu de Tazmamart) enlevé puis relâché en 1995, celui de Essalmi disparu depuis novembre 1997.
La pratique de l'enlèvement qui touchait directement et principalement les hommes, touchait aussi indirectement les proches : femmes sans époux, enfants sans père, mères sans fils, sœurs sans frère. C'est tout naturellement donc que les proches ont été à l'avant-garde de tout le mouvement de lutte contre cette pratique.
De démarches en initiatives, cette lutte a déjà donné ces premiers résultats : libération des survivants de Tazmamart ou d'une partie des survivants de Kelaat-Mgouna, démantèlement d'autres bagnes clandestins, indemnisation partielle... Cette lutte a aussi réussi à se structurer dans une association très active. En effet, le 28 novembre 1999, naissait l'association « Forum Vérité et Justice ». Sa secrétaire générale n'est autre que la sœur d'un des plus anciens disparus du Maroc : Abdelhak Rouissi, enlevé en octobre 1964. Cette lutte s'est exprimée sous diverses formes : pétition, manifestation, sit-in, grève de la faim (en particulier, mars 2001), mais surtout par ce pèlerinage de masse, en octobre 2000, à l'ancien Bagne de Tazmamart. [Plus d'infos dans la brochure Contre l'oubli, Casablanca, Forum Vérité et Justice, 2000 (document établi par les familles des disparus). Voir aussi le site du l'Association Marocaine des Droits de l'Homme (http://www.amdh.org.ma/Amdh) ou celui de l'Asdhom (en France) (http://www.maghreb-ddh.sgdg.org/ index.html)].
La situation actuelle
Les demandes du « Forum Vérité et Justice » sont simples : La libération des détenus encore en vie ; La délivrance de certificat de décès et la restitution des dépouilles aux familles; la réhabilitation des rescapés et de leurs familles : réparation du dommage moral et matériel subi ; l'établissement de toute la vérité sur les responsables des disparitions et des tortures.
Premier point : les rescapés du bagne de Kelaat-Mgouna libérés en 1991 attestent qu'ils y ont laissé des survivants de 16 années de séquestration. Ces survivants n'ont toujours pas été libérés. Houcine Manouzi, 27 ans après sa disparition et quatre après la reconnaissance de sa détention par l'Etat, ne l'a toujours pas été non plus.
Deuxième point : des dizaines de familles n'ont pas encore reçu le certificat de décès; Dans les bagnes de Tazmamart, d'Agdz, de Kelaat-Mgouna sont enterrés des dizaines de personnes dont les dépouilles n'ont pas encore été restitués aux familles.
Troisième point : après des années d'enfermement dans des conditions horribles, les rescapés et leurs familles doivent faire face à des séquelles très lourdes sur le plan physique, moral et matériel. L'Etat est loin d'assumer sa responsabilité dans ce domaine. Pire : il fait tout pour que les indemnisations divisent les rangs des rescapés, soient ressenties comme une faveur, interviennent comme le résultat d'une démarche individuelle et non collective et, enfin, impliquent une sorte de marché odieux : il faut en contrepartie ne rien dire du calvaire enduré et accepter que les responsables de ce calvaire ne soient pas identifiés et poursuivis.
Quatrième point : Le jugement des responsables des disparitions et des tortures n'est pas pour demain. La preuve : les témoignages des victimes ont permis d'établir une première liste de responsables de tortures et d'enlèvements (quinze commis de l'Etat dont certains sont encore en fonction et un autre qui s'est converti à la politique et siège comme « parlementaire »). Elle a été rendue publique par l'Association Marocaine des Droits de l'Homme et, jusqu'à ce jour, le seul résultat tangible est ...le harcèlement de ceux qui l'ont publiée : procès de 36 militants de l'AMDH (trois mois de prison et des amendes), expulsion de Juvenal (le correspondant de l'AFP), interdiction de journaux et poursuite de leur directeur...
On le voit, la route est encore longue et escarpée, mais il n'y en a pas d'autre pour conquérir liberté et dignité.
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