Maroc :
A propos de « l’Instance Equité et Réconciliation »
(Janvier 2007)
Le 6 novembre 2003, sur base de la Recommandation du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, une Instance appelée « Equité et Réconciliation » a été constituée par la « haute volonté de sa Majesté le Roi Mohammed VI ». Elle vise à traiter les violations ayant un rapport avec les disparitions forcées et l’emprisonnement arbitraire, l'établis-sement d'un rapport officiel comprenant l’analyse de ces violations, la garantie de leur non-répétition et la clôture du dossier en contrepartie d'une indemnisation financière des victimes. L’Instance agira « dans le cadre du règlement extrajudiciaire » et « ne peut, en aucun cas, après avoir effectué les enquêtes nécessaires, invoquer les responsabilités individuelles quelles qu'elles soient » (Voir Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, Recommandation relative à la création d'une commission dénommée : « Instance Equité et Réconciliation », sur le site http://www.ccdh.org.ma ).
Venant après une période pendant laquelle le régime réprimait, arrêtait, torturait, faisait disparaître avec le sentiment qu'il était dans son bon droit, cette initiative est une des nombreuses concessions qu'il a dû faire, depuis le début des années 90, en réponse aux luttes, longues et déterminées, menées par les victimes, leurs familles, les associations de défense des droits de l'homme au Maroc et à l'étranger. Ces concessions ne sont donc ni une faveur du régime marocain ni le résultat d'un changement soudain de sa véritable nature ; elles ont été dictées par un changement de tactique de ce régime dont il serait long ici de détailler les circonstances. Elles ont pour objectif de garder le contrôle des revendications démocratiques et d'en limiter les effets de sorte qu'elles ne remettent pas en cause le statu quo social et le régime qui en est le protecteur. Cet objectif se retrouve dans les caractéristiques de l'Instance Equité et Réconciliation (I.E.R.) :
1. L'I.E.R., et c'est le plus important, émane d'une instance non-démocratique. La comparaison avec les processus de « réconciliations » dans l'Espagne post-franquiste, l'Afrique du Sud ou l'Argentine oublie ou escamote que, dans ces pays, il y a eu parallèlement des élections démocratiques. Au Maroc, on s'apprête à indemniser au rabais quelques victimes de la répression tout en continuant à nous resservir en parallèle la même dictature où celui qui effectivement « règne et gouverne » n'a été élu par personne. Sa « haute volonté » est arbitraire et ne peut être maintenue que par l’arbitraire.
2. la procédure de l'I.E.R., entièrement « extrajudiciaire », est verrouillée de telle sorte qu'en contrepartie d'une « indemnisation matérielle des victimes », les démocrates se doivent d'accepter que les responsables de la répression ne soient pas identifiés, poursuivis et punis. Le régime veut ainsi tourner la page des « années de plomb » sans faire fondre le « plomb des années ». On envoie un journaliste en prison pour une caricature (Ali Mrabet), tandis qu’on prétend dégager de toute « responsabilité individuelle » ceux qui ont ordonné ou exécuté les assassinats, les arrestations, les tortures, les disparitions, et les répressions violentes des masses révoltées. De fait, de nombreux responsables en question, quand ils ne sont pas devenus des « parlementaires respectables », poursuivent leur sale besogne.
3. L'I.E.R. sépare la répression des militants démocrates de la répression du peuple. Elle ne prétend vouloir traiter de l’une que pour faire oublier l’autre. En passant, elle veut transformer une partie des victimes en gestionnaires « crédibles » du service après-vente des exactions du régime. Or, la répression qui s'est abattue sur le peuple marocain et sur ses militants avait et continue d'avoir pour motif de leur refuser la démocratie, la justice sociale et le soutien au mouvement de libération de la nation arabe. Ceux qui ont ordonné et mené cette répression voulaient protéger les bénéficiaires sociaux et politiques de ce refus. Indemniser certaines victimes de cette répression en continuant à leur refuser ce pourquoi ils ont été réprimés, c'est délégitimer les luttes de tout un peuple : luttes continuelles ponctuées par des révoltes périodiques avec leur cortège de centaines de morts, de milliers d'arrestations, de terreur, de silence forcé.
4. Les personnes qui, laissées dans la détresse matérielle et physique par la dictature féroce de Hassan II, veulent recourir aux indemnisations de l’I.E.R. ne sont pas en cause. Leur démarche, personnelle et individuelle, est humainement compréhensible : ils ont besoin de survivre et de soigner leurs plaies. Cette démarche ne peut cependant pas être érigée en position politique. Car c’est tout le peuple qui a souffert et pour celui-là l'indemnisation ne peut être que collective : démocratie, justice sociale, et concrétisation des aspirations à l'unité et à la libération. Or c’est précisément cela que le régime ne veut pas et ne peut pas concéder, parce que les intérêts qu’il protège sont radicalement en contradiction avec notre dignité de citoyens libres, notre droit de vivre décemment, notre libération nationale.
Il ne peut y avoir de réconciliation avec un tel régime, car il est le principal obstacle à la réalisation de nos légitimes aspirations.
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