Maroc :

Note sur la situation politique

(2007 ?)

L'élément principal de la situation politique au Maroc est la vitalité du mouvement de masse. Cette vitalité se manifeste de différentes manières :

1°) le mouvement touche presque toutes les couches du peuple : ouvriers, paysans, étudiants, chômeurs, petits entrepreneurs, travailleurs de la santé ou de l'enseignement, femmes, handicapés ou communauté berbère. 2°) Il utilise des formes de lutte très variées : grèves d'usine ou sectorielles, actions de protestation, manifestations, sit-in ou grèves de la faim. 3°) Il a favorisé l'apparition et la consolidation de formes d'organisation nouvelles : associations œuvrant dans pratiquement tous les domaines où l'Etat a fait faillite, comités nationaux ou forums. 4°) Il s'accompagne d'une plus grande liberté d'expression, une liberté « informelle », conquise sur le régime et qui se concrétise dans l'humour politique cinglant, la protestation verbale ou la relative liberté de ton et de contenu de certains journaux. 5°) Il a créé les conditions pour un début de formulation de revendications politiques avancées : un Etat de droit, un roi qui ne gouverne pas, une constituante ou même une république démocratique.

Face à ce mouvement, le régime se trouve dans une position défensive. Il est affaibli par l'éloignement d'une partie de son aile religieuse, par son discrédit auprès du peuple et par des luttes de clans et de tendances de plus en plus visibles. C'est à partir de cette position que le régime tente de sauvegarder la domination politique des grands propriétaires fonciers, de la grande bourgeoisie liée au marché extérieur et à ce qui reste (après les privatisations) de la bourgeoisie bureaucratique d'Etat.

Or cet objectif est incompatible avec les aspirations qui s'expriment dans le mouvement de masse, en ce sens que le régime ne peut pas faire à ce mouvement des concessions économiques suffisantes pour l'apaiser - de telles concessions ne pouvant se faire qu'aux dépens des classes sociales qu'il protège et certaines ne touchant qu'un secteur public très réduit. La tactique du régime n'a pas dès lors pour objectif de mettre fin à ce mouvement, mais de le désorienter pour l'empêcher d'aller plus loin. Plusieurs moyens sont utilisés par le régime :

1°) Il y a bien entendu la répression et elle est toujours présente : arrestations, intimidations, brutalités, procès, licenciements, interdictions d'activités ou censures de presse. Mais cette répression ne peut plus s'exercer de façon systématique comme auparavant, ceci pour s'adapter aux conditions de la fin de la guerre froide, pour obtenir les fonds extérieurs liés à une « amélioration des Droits de l'Homme » et pour ne pas aggraver davantage son isolement interne.

2°) Il y a ensuite la manœuvre tactique provisoire. Elle consiste à garder fermement en main le pouvoir politique réel (les « ministères de souveraineté » en sont les attributs : armée, police et appareil judiciaire principalement) et à déléguer une partie de la petite gestion administrative aux partis qui représentent les classes moyennes (Une partie seulement comme le montre le récent renforcement des prérogatives des walis ou la direction de l'information par un agent du ministère de l'intérieur). Le but est d'utiliser ce qui reste de la capacité de contrôle et de récupération de ces partis pour neutraliser leurs militants et ainsi étouffer l'esprit de lutte des franges du peuple qui leur font confiance.

L'un des éléments de cette tactique est la multiplication des concessions mineures : cela va de l'enseignement de la langue berbère à l'édulcoration de la mudawwana en passant par la distribution de repas pendant le ramadan. L'autre élément, le plus important, est la mise en place d'une démocratie de figuration. Celle-ci est concédée d'autant plus facilement qu'elle ne risque pas de remettre en question le statu quo social et politique puisque, comme on l'a vu, le véritable pouvoir est aux mains du représentant « sacré » des classes dominantes, formalisé par une constitution autocratique et assurée par « les ministères de souveraineté ».

L'aile religieuse, dite « islamiste radicale », ne veut pas renverser les classes dominantes mais seulement le régime politique qui les représente actuellement et ses soutiens extérieurs ; Elle a plus de crédit que ce régime parce qu'elle est en position de flatter les aspirations des déshérités à un peu de justice sociale, de solidarité fraternelle et de droiture morale et parce qu'elle a les moyens matériels de se constituer des clientèles captives. Dans la mesure où elle est opposée au régime actuel et à ses soutiens extérieurs, elle peut se retrouver du côté des masses et contre les partis qui représentent les classes intermédiaires et qui acceptent les règles du jeu du régime actuel. Mais dans la mesure où elle est favorable aux intérêts fondamentaux des classes dominantes, elle est contre les masses et contre les partis qui représentent les classes intermédiaires.

La tactique provisoire du régime arrange jusqu'à un certain point les partis qui représentent les classes intermédiaires (petite bourgeoisie et moyenne bourgeoisie) parce qu'ils sont faibles face aux classes qui ont le pouvoir et

parce que la démocratie de figuration leur permet de satisfaire (par le népotisme et les avantages de fonction) certaines demandes personnelles d'une partie de leur clientèle. Mais s'ils se contentent de si peu, il s'ensuit une érosion de leur capacité de récupération : les mécontents se mettent à les critiquer et certains se tournent vers des partis ou des tendances plus radicales (qu'elles soient laïques ou pas).

Ils sont donc pris entre deux feux : un régime qui veut maintenir le statu quo et n'est donc pas prêt à leur faire plus de concessions et un mouvement de masse dont les aspirations ne peuvent être satisfaites qu'au détriment des classes protégées par ce régime et des forces externes qui soutiennent ce dernier. L'une des conséquences de cette situation est l'aiguisement des conflits au sein de ces partis : scissions, divergences internes, nouveaux partis, regroupements de nouvelles tendances, ou tensions au sein des syndicats.

Sans accès au travail et à la terre principalement, les prochaines élections n'ont pas d'enjeu pour les déshérités. Il faut donc faire échouer cette manœuvre et, dans la conjoncture actuelle, le boycott est le seul moyen de le faire. Ce boycott doit être actif et basé sur la promotion de revendications et de luttes qui rencontrent les grandes aspirations des masses :

·       Expropriation des grands propriétaires fonciers et distribution des terres aux paysans sans terre et aux paysans pauvres ;

·       Du travail pour tous ;

·       Nationalisation des secteurs de souveraineté (banques, commerce extérieur, richesses minières et maritimes, communications...) ;

·       Protection douanière d'une économie nationale orientée vers la satisfaction des besoins internes ;

·       Enseignement et soins de santé gratuits ;

·       Egalité entre l'homme et la femme ;

·       Egalité entre les langues nationales ;

·       République démocratique ;

·       Soutien actif aux peuples palestinien et irakien et guerre totale à leurs ennemis.

 

Il y a urgence. Il faut prendre la liberté de lutter pour nos revendications, et ne pas attendre que les ennemis de la liberté nous aient octroyé un soi-disant « Etat de droit ». Voilà notre chemin !

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